jeudi 12 septembre 2024

Berlin

Impressions de Berlin. J’ai quelque peu perdu le goût des voyages et de leur inconfort, j’ai peur de voyager dans les aéroplanes et j’ai autre chose à faire avec mes faibles rentes, mais enfin pour plaire à ma coach, qui d’ailleurs sait procéder aux réservations et à d’autres démarches nécessaires dont je serais incapable, j’acceptai le projet d’une escapade à l’étranger. Je choisis l’Allemagne pour enfin visiter le seul grand pays frontalier du nôtre dans lequel je n’avais encore jamais mis les pieds, à part une excursion décevante dans la banlieue outre-Rhin de Strasbourg. Tant qu’à faire nous optâmes pour la capitale, la ville de l’Ours (la tradition veut que la première syllabe de Berlin soit comme celle de Bernard le nom germanique de l’ours, Bär (en anglais Bear)). Nous y fûmes quelques jours la semaine dernière, de mardi vers midi à dimanche après-midi. Nous étions transportés par Easy Jet. Les rares fois où je prends l’avion, je me dis que ça ne me plait guère. Je trouve inquiétant de m’élever dans les airs et je vois bien que l’aéronef n’est qu’une bétaillère, à peine plus chic que le tram. L’on mettait à la disposition des voyageurs le magazine mensuel de la compagnie, recueil de publi-reportages sur les merveilles de l’Europe, avec en couverture Priscilla Queen of Naples, un travelo dégoulinant de vulgarité satisfaite. L’autre couverture présentait une publicité pour le Fanta Zero Sugar. Mais enfin le voyage s’est bien passé. A Berlin nous étions logés au Potsdamer Inn, n° 145 de la Potsdamer Strasse, dans le quartier de Schöneberg, au sud du centre-ville, si tant est que Berlin ait un centre. Notre supposée auberge de Potsdam était donc située rue de Potsdam, laquelle aboutit au nord à la Potsdamplatz, et mène vers le sud, devenue route, à la ville de Potsdam, située à quelque vingt-cinq kilomètres, où nous allâmes passer la journée du vendredi, si bien que notre séjour fut marqué du sceau de la potsdamité. (Le nom est sujet à erreur et je suggère aux bibliographes, qui voudraient s’amuser, de corriger dans les catalogues numériques toutes les occurrences où il apparaît écrit Postdam). L’hôtel n’était pas tout à fait comme nous l’attendions : la façade était entièrement masquée par un immense échafaudage, les gérants étaient de braves Turcs ne parlant pas un mot de français ni même d’anglais, de sorte qu’il était à peu près impossible d’en tirer le moindre renseignement pour nous orienter, notre chambre au premier étage donnait sur une Potsdamerstrasse plutôt bruyante, et la maison ne servait pas de petit-déjeuner, de sorte que nous petit-déjeunâmes chaque matin dans notre austère piaule de fines tranches de pain, de fromage et de charcuterie achetées la veille au soir à l’Aldi du coin de la Pallasstrasse. Je dois préciser que ni moi ni mon coach ne parlons l’allemand, dont j’ai toutefois quelques notions pour l’avoir étudié un an au lycée et pour avoir feuilleté des livres, assez par exemple pour comprendre la petite phrase Zurückbleiben, bitte, que les hauts-parleurs répètent chaque fois que le métro referme ses portes. Nous avions convenu qu’un bon moyen de découvrir cette grande ville serait d’y marcher autant que possible, malgré l’épuisement que cela entraine et qui s’accumule au fil des jours. Par chance il ne pleuvait pas, il a fait beau sans cesse et même un peu trop, la température passant les trente degrés chaque après-midi, un temps à short et à T-shirt, alors qu’il ne faisait pas si chaud dans le Sud-Ouest français d’où nous arrivions. Nous ne recourûmes que par nécessité aux transports, qui n’étaient pas très commodes pour nous. J’avais soupçonné en étudiant la question et il s’est avéré sur place que les transports publics à Berlin sont un redoutable mélange de lignes de train, de tram, de bus et de métro, dont la connaissance pourrait légitimement valoir l’obtention d’un certificat d’études universitaires. Nous avons donc beaucoup marché, ayant ainsi de Berlin une vision depuis la rue, la vision de passants entrant dans peu de bâtiments, à part des magasins et restaurants. Il y a quelques beaux immeubles, beaucoup de laids. Les rues sont souvent sales, jonchées de papiers, mégots, capsules, bouteilles, éclats de verre... Il nous a paru que beaucoup de gens fumaient, plus que dans les rues de France. Mais la ville est très boisée, il y a de nombreux parcs, beaucoup de rues sont plantées d’arbres, avec parfois un bel effet de voûte (exemple Steinmetzstrasse). Les rues étaient souvent décorées de statues. Je me souviens de l’éléphant rouge de Basse-Saxe rue Ebert, des statues de Bolivar et de San Martin, et entre elles de l’énorme tête de cheval devant l’Institut Ibéro-Américain de la Potsdamerstrasse, plus loin dans la même rue des Boxeurs bleu et rouge de Keith Haring au milieu d’une pièce d’eau, les poings de chacun entrant dans les trous du corps de l’autre (je n’ai jamais bien aimé le style de cet artiste, qui fut à la mode en même temps que Berlin dans les années 80, mais j’ai quelque sympathie pour lui d’être mort si jeune et d’avoir donné une œuvre à une église de Paris). Souvent les Allemands à qui nous demandions notre chemin se montraient peu serviables, voire maussades, mais bien sûr pas toujours, et souvent les étrangers étaient plus aimables. Il y avait beaucoup de Turcs dans notre quartier, mais moins que dans certains autres paraît-il. Ils trustaient l’essentiel des alimentations et de la restauration, soit dans des enseignes ouvertement levantines, soit dans des établissements bizarres, genre Asian Food Vegan halal ou Pizzeria halal. Nous avions près de chez nous d’autres restos étrangers (marocain, syrien, norvégien, vietnamien) et le seul qui annonçait Cuisine allemande précisait Et spécialités indiennes. Cela donnait une drôle d’ambiance, par moments on se croyait moins en Allemagne qu’au Pakistanbul, mais enfin si le pays est devenu tel, il convient aussi de s’en instruire. Il y avait des taxis jaune crème et comme partout des moineaux et des pigeons, des bisets surtout et quelques ramiers. La principale curiosité ornithologique est qu’il y avait un peu partout de grosses corneilles mantelées, au plumage en partie gris parfois teinté de rose, au lieu d’être entièrement noir. Il s’agit selon les auteurs d’une simple sous-espèce de la Corneille noire ou bien d’une espèce à part entière. Je n’en avais vu jusqu’alors qu’en Italie et dans les livres. Malheureusement, sous la poussée peut-être d’un zèle anti-religieux, les deux plans à notre disposition ne signalaient pas les églises, et les rares sur lesquelles nous tombâmes par hasard étant soit fermées soit payantes, nous n’en visitâmes que deux, dont une sans vitraux. Ces deux plans étaient incommodes, celui du guide Lonely Planet emprunté à la fac n’indiquant à peu près qu’un nom de rue sur quatre, et le second, offert à l’hôtel, étant imprimé si petit que sa lecture requérait l’usage du compte-fil que j’avais eu la précaution d’emporter. Je voulais acheter deux trois cartes postales pour le plaisir d’accomplir le rituel démodé. On en trouve moins qu’en France, m’a-t-il semblé, et de même les lieux de vente de timbres et les boites à lettres sont plus rares. Les bureaux de poste sont des établissements polyvalents où se pratiquent d’autres commerces que celui du courrier. Il m’a étonné de ne voir aucune boite à livres. Ce qui y ressemblait le plus furent deux dépôts sauvages de quelques volumes à même le trottoir, et un petit meuble dans le hall de l’Ibero-Amerikanisches Institut où l’on donnait des livres dont aucun ne m’intéressait. Un d’eux avait sur la couverture une faucille-et-marteau et ce n’était pas du second degré. Mieux valait d’ailleurs ne pas se charger, car nous n’avions droit dans l’avion qu’à un maigre bagage de 45 x 36 x 20 cm au maximum. (A suivre)

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