vendredi 8 avril 2022

Strasbourg

Je remporte quand même quelques succès, j’ai été admis par deux compagnies d’aide aux cassos, les Restos du Cœur de Saint-Jean (à 16 km, service hebdo, déjà testé deux fois) et la Banque alimentaire de Loulay (à 5 km, service bimensuel, pas encore testé). Je précise les distances parce que ma voiture automobile, qui déjà menaçait ruine, vient de rendre l’âme, pour que la fête soit complète, de sorte que je vais être réduit aux joies du vélo pendant quelque temps.
    Malgré quoi je voyage, à contretemps. Avec mon coach nous avions réservé il y a plus de deux ans, juste avant la pandémie, un vol pour Madrid qui fut bientôt annulé pour cause de covid, puis reprogrammé, puis encore annulé pour la même raison, après quoi il s’avéra que la compagnie n’assurait plus cette liaison et refusait de nous rembourser, mais nous laissait le choix de nous réorienter. Parmi les destinations possibles au départ de Bordeaux, nous nous rangeâmes à ma suggestion d’opter pour Strasbourg, où nous venons enfin de passer les cinq premiers jours d’avril.
    Nous étions logés modestement mais très correctement à l’hôtel Ibis de la rue du Faubourg-National, que l’on aurait pu requalifier d’international au vu de la faune diversifiée qui hantait la rue. L’hôtel lui-même était peuplé principalement par une colonie de réfugiés ukrainiens. L’établissement était fort bien situé, à mi-chemin de la gare et de la vieille ville. A Strasbourg le centre-ville est une île entre les bras de l’Ill, affluent du Rhin tout proche. Cette île est reliée aux quartiers environnants, plus récents, par une vingtaine de ponts, et se divise au sud-ouest en un archipel de langues de terre dominées par les Ponts Couverts, dans le quartier dit de la Petite France, que j’appelais la Francette, sans doute l’endroit le plus charmant de la ville, plein de vieilles maisons à colombages et à encorbellements. Par chance, habitant tout près, nous étions amenés à passer par là chaque jour.
    La météo annonçait du mauvais temps mais nous en fûmes quittes pour un peu de vent et de pluie, quelques flocons de neige. Je me sentais plus d’humeur à flâner qu’à m’enfermer. Aux moments les plus rudes nous nous réfugiâmes dans trois musées, non pour y étudier mais juste pour le plaisir de contempler quelques beaux objets. D’abord le Musée d’Art moderne et contemporain, grande bâtisse lugubre mais bien fournie, où l’œuvre la plus frappante à mes yeux était une immense toile de Gustave Doré, Le Christ quittant le prétoire, qui mesure dans les six mètres de haut sur neuf de large. Ensuite le Musée alsacien, curieux labyrinthe présentant du mobilier domestique. Enfin le Musée de l’Œuvre Notre-Dame, conservant surtout des sculptures médiévales et des peintures de la Renaissance. Aux moments plus cléments nous arpentions la Grand-Rue, dite aussi Langstross, les alentours de la belle cathédrale, les quais. Beaucoup de bâtiments sont en grès rouge des Vosges, qui donne sa couleur à la ville (comme Metz est jaune et Nancy blanche, m'a signalé mon correspondant Dominique Leblanc). Nous visitâmes aussi le secteur des grandes institutions, Parlement européen et autres, qui m’a paru sinistre, et tout près de là le parc de l’Orangerie, très agréable et doté d’un petit zoo, le genre d’attraction qui suffit à ma joie. C’est principalement un zoo d’oiseaux, un oizoo, avec des cigognes en liberté, d’autres en volière, et parmi les curiosités des flamants roses du Chili et des grands-ducs. Nous n’avions pas vu de cigognes dans Strasbourg avant celles de l’Orangerie, bien qu’elles fussent omniprésentes dans l’imagerie, mais le dernier jour nous en avons aperçu deux volant au-dessus de la ville et encore une près de l’aéroport. Comme dans toutes les villes on voyait surtout des pigeons bisets, plus rarement un ramier. Sur les eaux des cygnes, des colverts, ça et là une foulque. J’ai vu un corbeau freux et des choucas, il y en avait toute une colonie dans les arbres près de chez D Leblanc, à qui nous avons rendu visite. Je veux bien croire que ce voisinage n’est pas de tout repos.
    Nous fûmes deux fois à Kehl, la plus proche ville d’Allemagne, en fait une banlieue de Strasbourg mais située de l’autre côté du Rhin, qui à cet endroit n’est pas plus large que la moitié de la Garonne à Bordeaux. Nous l’avons franchi trois fois en tram et une fois à pied, par la Passerelle des Deux Rives. Cette excursion était pour moi une expérience intéressante, d’abord pour le plaisir exotique de me retrouver parmi des gens qui «se jactent en étranger», comme disait Ferdine, et pour l’occasion ainsi offerte d’enfin mettre ne fût-ce que la pointe des pieds dans le seul pays frontalier où je n’étais encore jamais allé. La ville elle-même n’est guère éblouissante : un quartier pavillonnaire, une rue commerçante mais pas très animée, la Hauptstrasse, débouchant sur une mosquée proéminente. Nous sommes entrés dans quelques magasins, dont une solderie où j’ai acheté un petit Vorhängeschloss, un cadenas qui peut verrouiller mon sac de voyage et servira à boucler ma chaine de vélo. Nous avons vu à Kehl deux églises hélas dépourvues de vitraux historiés, la massive et blême Saint-Jean-Népomucène, et la petite église de la Paix, joli bâtiment rouge brique à l’extérieur, à l’intérieur d’un gris blanc austère, avec sur les marches du chœur le mot Peace inscrit en grosses lettres sur un étendard arc-en-ciel lgbt. Hum.
    Je n’ai pas non plus regardé beaucoup de vitraux à Strasbourg. Ceux de la cathédrale étaient trop nombreux, dont des anciens difficiles à déchiffrer. Il y avait quelques vitraux intéressants du milieu du vingtième siècle à l’église Saint-Jean, d’un certain Werlé, et d’autres des frères Ott à Saint-Pierre le Vieux. Des mêmes frères Ott j’ai vu ailleurs deux belles verrières profanes, une Allégorie du printemps au Musée d’Art moderne et une vue d’Ammerschwihr, cité viticole (1938) au Musée alsacien.
    Nous nous sommes assez bien gobergés pendant le séjour, d’abord grâce aux copieux petits déjeuners de l’hôtel, puis lors de nos sorties en ville. Nous avons tâté ici et là du bretzel et du kougelhopf, de la tarte flambée au munster à la brasserie La Schlosse (la serrure), d’excellentes choucroutes dont une au saumon qui était d’abord un plaisir pour l’œil chez l’ami Leblanc, et une dite royale, aux sept viandes, au Tire-Bouchon. Nous avons bu modérément mais appris que les vins d’Alsace ne se résument pas comme nous le pensions à la trilogie Sylvaner-Riesling-Gewurztraminer, il y a aussi un blanc plus basique, l’Edelzwicker, et du rouge, le Pinot noir.
    Et maintenant retour à la case départ. Si vous avez une voiture à vendre, parlons-en.

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