L’on m’a appris la mort de Joël Guérin, qui était âgé de quatre-vingts ans. Il avait joué un rôle important dans mon parcours. Un mail de la fac, puisque je les reçois encore, rappelle qu’après des années passées à la Casa de Velázquez à Madrid, il avait dirigé la bibliothèque universitaire de Lettres à Bordeaux-Pessac de 1980 à sa retraite en 2006. Je l’avais connu lors de mon année de formation au métier de bibliothécaire, en 1992-93. C’était lui qui nous donnait les cours de bibliographie, ma discipline préférée, et je crois avoir été son meilleur élève. Ce professeur m’avait à la bonne et allait bientôt me rendre un grand service. Mes condisciples se répartissaient entre deux situations professionnelles : pour les uns, déjà en poste dans quelque établissement, le petit examen que nous préparions rendait possible une promotion. Pour les autres, dont je faisais partie, il représentait tout simplement l’espoir de s’arracher au chômage, et je crois avoir été le seul parmi nous à trouver du travail en cours d’année. Ce fut grâce à Monsieur Guérin, qui avait repéré que j’avais suivi des études en Lettres ibériques. Or il recherchait quelqu’un pour prendre en main, en attendant la nomination d’un titulaire, le nouveau service spécialisé dans la culture latino-américaine, dont la bibliothèque universitaire venait de se voir confier la charge. C’est ainsi qu’il me proposa un contrat de neuf mois, d’avril à décembre 93, pendant lesquels je fus employé à temps plein pour ébaucher les collections de ce nouveau secteur. C’était pour moi une aubaine, d’abord parce que j’y gagnais un salaire (qui plus est pour opérer dans un domaine dont j’étais familier), ensuite parce j’avais ainsi le pied à l’étrier (je devais par la suite, avec des hauts et des bas, rester au service des biblis de l’université), enfin parce que c’est la situation documentaire très favorable où je me trouvais placé, qui m’a donné le courage de reprendre plus tard mes études pour passer un doctorat (lequel, par contre, ne m’a pas servi à grand chose sinon à me faire plaisir). Monsieur Guérin était avec moi aux petits soins. Le jour où j’embauchai, il passa la matinée à me promener dans tous les étages du bâtiment, me présentant à des collègues, me faisant visiter le vaste labyrinthe des magasins. Au bout de quelques jours, il me félicita d’avoir su remettre de l’ordre dans le bureau qui m’avait échu, où la précédente occupante avait accumulé un invraisemblable capharnaüm. Deux ou trois fois, en fin de journée, il eut la bonté de me raccompagner lui-même en voiture de Pessac à Bordeaux, afin de m’épargner le trajet que je faisais alors en bus. Cette sollicitude me gênait un peu. Je dois dire que si j’ai jamais été le chouchou de quelqu’un, ce fut alors. Ma situation professionnelle se dégrada quelque peu au terme de ce bel emploi. L’université me garda sous son aile mais comme une marâtre parfois ingrate, m’octroyant pendant les vingt années qui suivirent une trentaine de contrats plus ou moins avantageux. Cependant peu après ces débuts, ce fut encore Guérin qui me fit profiter d’une nouvelle opportunité inattendue quand, l’un des cadres de l’institution étant écroué pour une affaire de mœurs, je pus bénéficier pendant quelques mois d'un traitement de conservateur. De 1994 à 97, je fus employé à traiter des livres de différents secteurs, dans le cadre de l’immense chantier d’informatisation des catalogues. J’étais alors logé dans les obscurs bureaux d’un des étages intermédiaires, où le public n’avait pas accès. Guérin fut une des personnes qui m’initièrent patiemment aux nouvelles procédures. Il avait son humour, ses bons mots. Comme les universités françaises adoptaient alors progressivement le Système informatique des bibliothèques de Lausanne, en abrégé Sibil, il se plaisait à répéter que nous faisions désormais partie des bibliothèques sibilisées. Il me rejoignait parfois dans mon antre, pour un brin de conversation. Une fois où je m’excusais de n’être guère présentable, car je n’étais pas rasé depuis des jours, il me rassura en jugeant qu’il n’était pas mal d’avoir «une petite barbe de pirate». Un beau jour où il nous aidait, avec quelques collègues, à apprêter une salle à l’occasion d’un pot (on ne disait pas encore un «moment de convivialité»), il provoqua la bonne humeur générale en lançant tout de go : «Je suis comme Lady Diana, il paraît qu’elle adore faire le ménage…» C’était le bon temps. Monsieur Guérin eut encore une influence décisive sur mon destin en me nommant à la rentrée de 1997 à la Bibliothèque ibérique, où je devais servir jusqu’à la fin de ma carrière. Après quoi peu à peu nos relations s'espacèrent, s’atténuèrent, se dégradèrent, jusqu’au moment où j’en vins à considérer que j’étais tombé en disgrâce. Peut-être parce que loin des yeux, loin du cœur, peut-être parce que j’avais fini par décevoir ce supérieur par mon manque d’ambition, en refusant systématiquement de passer des concours selon ses conseils, peut-être pour d’autres raisons et maintenant peu importe. Les dernières fois où je l’ai revu, ce fut après son départ à la retraite, à l’occasion de réunions festives où il était encore invité. Il avait alors souvent un air absent, comme s’il était devenu étranger à cet univers qui n’était en effet déjà plus le sien, ce que je peux comprendre. La nouvelle de sa mort m’a peiné. Je lui garde mon estime, et ma reconnaissance pour l’aide qu’il m’a apportée.
Le blog littéraire et agricole de Philippe Billé. Des notes de lecture, et des notes du reste.
lundi 31 janvier 2022
mercredi 26 janvier 2022
Olavo
Tristesse d’apprendre la mort avant-hier d’Olavo de Carvalho, emporté par le covid à l’âge de 74 ans. Intellectuel atypique, il avait été communiste, puis était passé par l’astrologie et le soufisme avant d’en venir à un conservatisme catholique et résolument anti-communiste. Grande gueule, brillant polémiste, il avait quitté le Brésil pour s’installer aux USA il y a une quinzaine d’années. Il vivait de ses livres et des cours de philo qu’il donnait en ligne. Dernièrement il était devenu paraît-il l’éminence grise, le Steve Bannon du président Bolsonaro. A une époque j’ai regardé beaucoup de ses causeries sur YouTube, où il vitupérait avec l’accent pauliste en fumant clope sur clope. Je notais à l’occasion ses remarques de bon sens (genre «La Révolution française a tué plus d’innocents en quatre ans que l’Inquisition en quatre siècles»). J’avais commandé pour la fac son énorme recueil d’articles O mínimo que você precisa saber para não ser um idiota (Le minimum que vous devez savoir pour ne pas être idiot), dont j’avais traduit pour ma 500e Lettre documentaire une page amusante, «Brève histoire du machisme», où il se moquait du féminisme. J’aimais bien son style, son culot, son humour.
mardi 25 janvier 2022
faux
TOUT FAUX
Faux air
Fausse alerte
Faux-ami
Faux billet
Faux bond
Faux col
Fausse couche
Faux-cul
Faux départ
Fausse facture
Faux-filet
Faux frère
Faux-jeton
Fausse joie
Faux jour
Fausse modestie
Fausse monnaie
Faux mouvement
Fausse note
Faux numéro
Faux pas
Faux plafond
Faux plat
Faux pli
Fausse route
Faux-semblant
Faux sens
Fausse sortie
Faux témoin
Faux-texte
mardi 18 janvier 2022
oiseaux bis
Avant-hier j’ai publié ma Lettre documentaire n° 517, la liste de mes livres d’oiseaux. L’idée m’en était venue récemment, alors que je passais en revue ma bibliothèque, dans le cadre de ma campagne de reprise en main de mes biens en général et de ma documentation en particulier. J’avais d’abord songé et bientôt renoncé à établir une bibliographie de ces ouvrages d’ornithologie, qui ont toute ma sympathie, en donnant pour chacun une notice descriptive, complétée de commentaires techniques ou personnels. Mais un tel projet aurait pris les proportions inutiles d’un article long et en partie redondant, puisque j’ai déjà évoqué un certain nombre de ces livres au fil des ans dans mes journaux. J’ai finalement opté pour la formule plus souple d’une liste succincte, où ne seraient mentionnés que les titres et les dates, sans aucune indication d’auteur, d’éditeur, de collection ou de pagination, et sans glose. Le document ainsi obtenu est un objet de contemplation plus que d’étude, avec les petites qualités de mystère et de légèreté qui conviennent à un poème-liste. Il m’a amusé d’y mêler, derrière la rigueur de l’ordre alphabétique, des éléments mal assortis, allant de l’épais volume à la mince brochure, du manuel pratique à l’étude savante, adressés à divers publics et rédigés dans différentes langues. Un hasard imprévu mais bienvenu fait que le premier livre cité est le plus récent et le plus complet, et le dernier le plus ancien, sauf erreur. Comme cette pièce me plait assez, je lui ai octroyé le statut privilégié de Lettre documentaire. La cinq-cent-dix-septième, donc.
dimanche 16 janvier 2022
oiseaux
Lettre documentaire 517
MES LIVRES D'OISEAUX
poème-liste
All the birds of the world, 2020.
Australian bird photography, 2012.
Aves do Brasil : pantanal & cerrado, 2010.
Bien élever et soigner dindons, pintades et faisans, 199?
Bien élever et soigner les oies et les canards, 199?
Bien élever et soigner les poules, 199?
Birds of the Indian Ocean islands, 2003.
Comment venir en aide au martin-pêcheur?, circa 2000.
Dessiner les oiseaux, 1992.
L’Encyclopédie mondiale des oiseaux, 1991.
L’Encyclopédie par le timbre : Les oiseaux, 1953.
L’Etymologie des noms d’oiseaux, 1997.
Field guide to North American birds, 1994.
Una Guía de las aves de Venezuela, 1979.
Guide de poche des rapaces nocturnes, 1997.
Guide des canards, des oies et des cygnes, 1995.
Guide des hérons du monde, 1989.
Guide des oiseaux, 1989.
Guide des oiseaux de mer, 1997.
Guide des oiseaux de proie du monde, 1992.
Le Guide ornitho, 2010.
Handguide to the birds of the Indian sub-continent, 1980.
Le Livre des oiseaux Audubon, 1992.
Nids et œufs, 1991.
Nomenklatournaya terminologiya ptits, 1973.
Un Oiseau sauvage blessé : que faire?, 1996.
Oiseaux chanteurs, 1994.
Oiseaux de cage et de volière, 1993.
Les Oiseaux de l’Est de l’Amérique du Nord, 1994.
Ornithologie du promeneur, 1995.
Ornitologia brasileira, 1997.
Petit guide des oiseaux d’Europe, 1985.
Reconnaître les nids, 2002.
Reconnaître les plumes, traces et indices des oiseaux, 1995.
Tous les oiseaux d’Europe, 1973.
Traité de fauconnerie et d’autres oiseaux de vol, 2018.
Volailles sélect en direct du Gers, 1993.
Was fliegt denn da?, 1966.
Watching birds, 1951.
vendredi 14 janvier 2022
normal
La normalité est très mésestimée de nos jours. Il est mal vu d’être normal, il faut presque s’en excuser. Moi par exemple, qui suis probablement l’homme le plus normal du Grand Ouest (Nantes-Bayonne) il y a des jours où j’hésite à en faire état.
vendredi 7 janvier 2022
royal
Le nom complet de la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals a un peu plus d'allure que sa réduction au sigle RSPCA. Pourtant seul celui-ci figure sur le site de la société, comme sur ses pages Facebook et Twitter, où nulle part n'apparait la forme développée. Je me demande à quoi tient ce choix. Serait-ce que l'hystérie politicorrecte déconseille d'afficher le vilain adjectif "royal"? Il me semble au contraire que la royauté pourrait s'honorer d'avoir créé une telle institution...
(PS. Bah, je vois que la SPA fait de même...)
mardi 4 janvier 2022
féerie
Je ne peux pas me plaindre, en cette période de fêtes, car plusieurs mains secourables se sont chargées de me procurer toutes sortes de chocolateries, qui ne sont plus dans mes moyens. Et comme l’époque est aux sucreries, je me suis amusé à lire un recueil de trois Contes de fées, de la comtesse de Ségur. J’avais soutiré d’une boîte à livres ce petit volume paru en 1957, délabré mais joliment illustré d’aquarelles. Les trois récits m’ont plu, bien qu’inégalement, par leur ambiance magique et leur pureté morale. Je n’ai pas trop aimé la durée interminable des épreuves imposées au Bon petit Henri, ni l’argument tarabiscoté de La petite souris grise. C’est La princesse Rosette, heureusement mariée au roi Charmant, qui a eu ma préférence. Ces histoires de princes et princesses bien élevés, finement idéalisés, triomphant de la méchanceté, ont quand même une autre allure que la ragougnasse idéologique dont on farcit aujourd’hui la cervelle des enfants. Une indication des pages liminaires, comme quoi ces contes s’adressent aux garçons et aux filles de huit à douze ans, me rassure : s’ils m’ont bien plu, c’est sans doute que je suis resté assez jeune d’esprit…
dimanche 2 janvier 2022
voeux
Que dire aux pauvres types qui ont retrouvé leur voiture cramée au matin du premier janvier : «Bonne année quand même» ?