lundi 28 février 2022

occupations

Lorsque j’ai pris ma retraite à la mi-juillet, je n’ai pas bien pu profiter du temps libre dont j’étais maintenant censé disposer. Au contraire j’étais accablé par diverses corvées nécessaires, certaines ajournées depuis longtemps, d’autres s’y ajoutant du fait de ma nouvelle situation : démarches administratives, corrections et ajustements exigés par la revue qui doit publier mon long article sur le vocabulaire français d’origine tupi-guarani, exploration et tri de ma boite mail professionnelle avant qu’elle ne soit désactivée, rangement de monceaux de livres et d’autres objets accumulés en vrac ces derniers mois, choix et installation d’un poêle à bois, etc. Je commençais à être à jour au début de l’automne, lorsqu’est arrivée à la mi-octobre ma sœur américaine, à qui j’avais promis de l’héberger lorsqu’elle se rapatrierait, le temps qu’elle se trouve une maison dans la ville voisine. J’étais content de lui rendre ce service, et de l’occasion ainsi offerte de refaire connaissance avec cette proche parente que je n’avais pratiquement pas revue depuis un demi-siècle, mais enfin la tâche s’est avérée un peu plus difficile que je n’avais prévu : je n’avais pas prévu que la dame arriverait ici pour l’hiver (qui est le plus mauvais moment pour venir loger chez moi), ni qu’elle serait accompagnée de deux chats (ce qui suppose des contraintes supplémentaires), ni que l’affaire durerait trois mois et demi (jusqu’à début février), ni enfin que la rapatriée ne conduisait pas (et ne serait donc pas indépendante pour ses déplacements). Depuis bientôt un mois que j’ai retrouvé la solitude, je découvre les avantages de ma condition de retraité : je dispose de tout mon temps à ma guise, le travail salarié ne me manque guère, je peux me lever à l’heure où je veux sans me soucier d’avoir eu des insomnies, et j’en ai d’ailleurs beaucoup moins, du fait que je dois me sentir plus tranquille. Mais enfin il m’inquiète un peu de constater que les journées filent assez vite et que je m’éparpille entre les mille besognes de la vie quotidienne, les moments de glandage inévitables et d’ailleurs légitimes, et les quelques heures que je passe chaque jour dans les bois qui m’attirent comme des aimants, cependant que je n’accomplis pas autant que je le voudrais des tâches plus substantielles que je me suis assignées, ou qui s’imposent comme des nécessités. C’est pourquoi, afin de faire le point, afin si possible de me donner du courage, afin également d’informer de ce que je deviens ceux et celles qui s’en soucient, j’ai voulu consacrer un moment à établir la liste des actions que j’aimerais réaliser à court, moyen ou long terme. Les voici.

- écrire à mon fils (ne me demandez pas pourquoi cela m’est difficile).

- trouver les personnes à qui donner les 250 photos de Horacio Quiroga et les quatre de Martín Luis Guzmán que je détiens et dont je ne fais rien.

- écrire une note sur ma thèse, son histoire, son contenu, son destin.

- chercher des éditeurs pour mes livres dont personne ne veut : mes collections de citations sur Bordeaux et en Je suis né, mes traductions de Ramón Eder, de Crad Kilodney et de Cecília Meireles, mes critiques de cinéma, mes poèmes, mon journal (au moins des extraits, par exemple mes récits de voyages, mes aphorismes ou mes récits de rêves), mon recueil de néologismes (Verbier).

- à défaut, aller me renseigner chez les imprimeurs de Saint-Jean ou de Niort, voir s’il y en a un à qui je pourrais confier de petits tirages de ces œuvres, limités par exemple à 33 exemplaires.

- saisir sur ordi certains de mes textes dont je n’ai plus de version numérique, comme mon journal de 2001 ou mes traductions d’Al Ackerman.

- terminer quatre projets de type savant, déjà bien engagés mais qui demandent encore du travail : une anthologie des descriptions du Paresseux du XVIe au XVIIIe siècle, un recueil des témoignages sur l’anthropophagie des Indiens brésiliens aux XVIe et XVIIe siècles, une réédition commentée du vocabulaire guyanais galibi relevé par Antoine Biet au XVIIe siècle, une traduction de la dramatique lettre de janvier 1565 où José de Anchieta raconte sa mission comme otage chez les Indiens tupis.

- créer dans Wikipédia quelques articles manquants, sur certains des artistes ayant illustré des couvertures du Chasseur français des années 30 aux 60, et compléter quelques autres articles déjà existants.

- relire le texte de mon journal de 2021 et l’indexer dans l’index général de mes journaux.

- trouver et fixer une tringle ultra-plate pour le rideau que je veux placer sur ma porte d’entrée qui prend l’air.

- aller à la scierie de Poursay-Garnaud voir s’ils vendent des planches pour remplacer le plancher de mon dernier grenier, si possible du peuplier, sinon du pin, et pas trop longues pour que je puisse les transporter dans ma voiture automobile.

- réfléchir aux travaux que je voudrais confier à mon ouvrier quand il sera de retour l’été prochain (remplacer le petit toit pourri de la guérite du puits, installer une gouttière au toit du hangar, et une échelle de meunier pour accéder à mes greniers).

- trouver le courage de faire de temps en temps un bac de mortier pour combler les trous qu’il y a un peu partout dans mes murs.

- passer en revue mes livres à vendre, vérifier les prix marqués au crayon.

- mettre en ligne ma liste de livres à vendre, mise à jour, que je n’ai plus fait circuler depuis des années.

- passer en revue mes objets de brocante, principalement de la vaisselle mais pas seulement, et étiqueter ceux qui n’ont pas de prix marqué.

- passer des annonces dans Marketplace pour les plus valables.

- et pour cela d’abord photographier les objets et comprendre comment fonctionne Marketplace.

- étudier la collection de timbres à mon père et ma collection de monnaies, voir si je peux en vendre.

- finir de couper en deux les deux à trois stères de bûches de un mètre qui me restent, et refendre les plus grosses pour être utilisables dans le poêle.

- consolider les étais que j’ai placés pour soutenir la charpente de l’appentis.

- couper quelques branches du noyer qui gênent le thuya voisin.

- replanter mes deux groseillers, qui sont mal placés.

- finir d’installer mon interminable volière.

- arriver à choper mon insaisissable plombier, afin qu’il répare le robinet de la cuisine et la chasse d’eau.

- aller explorer l’espèce de chemin-couloir que j’ai découvert sur le plateau, un long sentier entre deux haies au milieu des champs.

- essayer de remplacer mon vieil auto-radio qui a rendu l’âme, mais c’est sans grand espoir, le prix risque de ne pas valoir la chandelle.

- faire une liste des livres d’artiste, uniques à tous égards, que j’ai fabriqués ces dernières années.

- appeler les services sociaux de deux communes voisines, dont j’ai obtenu les numéros, afin de voir si je peux avoir droit à des aides genre banque alimentaire.

- récupérer les derniers mails qui trainent dans ma boite professionnelle, qui va être désactivée d’un jour à l’autre.

- acheter de la bouillie bordelaise pour mon pêcher et mon pommier, et comprendre comment ça marche.

- venir à bout de la vingtaine de livres très intéressants, et certains très épais, qui se sont sédimentés sur ma table de nuit, sans compter un Caraco secret que je lis en pdf et le Yoga de Carrère que l’on m’a offert en livre-audio.

- réaliser la carte postale au pochoir en 64 exemplaires en hommage à M Duchamp, dont j’ai le projet depuis longtemps.

- préparer la causerie sur les oiseaux que je me suis engagé à faire devant les habitants du village.

- désherber mon bassin, qui se transforme en mer des Sargasses.

- etc. Je ne sais plus qui m’avait demandé ce que je comptais faire une fois à la retraite et si je ne craignais pas de m’ennuyer. Comment dire…

dimanche 27 février 2022

beauté

TOUT EN BEAUTÉ 
poème-liste


beaux-arts

belle bête

belles dents

beaux draps

belle époque

belle étoile

beau fixe

beau gosse

belle jambe

beau joueur

beau jour

belles-lettres

beau linge

belle lurette

beau milieu

belle mort

beaux-parents

beaux quartiers

beaux rêves

beau rôle

beau temps

belle vie

beaux yeux

mardi 22 février 2022

étrangers

 Lord Chesterfield conclut une des Lettres à son fils (celle du 5 juin 1750) en évoquant «Paris, où l’on est extrêmement obligeant envers les étrangers qui sont polis et témoignent l’envie de plaire». Eh oui, pardi, pour se faire aimer, mieux vaut être aimable.

dimanche 20 février 2022

parasites

 Depuis l'expulsion de leurs locaux pour loyers impayés, les Ni putes ni soumises se sont rebaptisées Ni putes ni soumises ni subventionnées, mais elles ont moins de succès. Quant aux dissidentes Ni parasites ni vulgaires, elles n’ont pas réussi à imposer leur ligne.

samedi 19 février 2022

périple

Rentré hier de mon périple de dix jours, en Dordogne où je n’ai passé que deux nuits, puis en Gironde le reste du temps. Il y avait longtemps que je n’avais suivi le trajet oblique de la Croix vers le Périgord. J’ai d’abord descendu plein Sud jusqu’à Mirambeau, puis viré sur la route des Monts (Montendre, Montlieu, Montguyon, Montpon). Ensuite Mussidan etc. J’ai revisité Bergerac en traversant lentement la ville du Nord au centre, puis du centre vers l’Ouest. Je suis passé devant la cité de mon enfance, que l’on appelait alors «les blocs», et j’ai vu que chez nous il y avait maintenant une parabole au balcon. Comme j’en avais très envie, je suis retourné voir le vieux barrage en aval de la ville. Il n’y a pas de grand bâtiment, juste une muraille qui barre la rivière en biais, et sur le côté une écluse. J’ai toujours aimé cet endroit paisible où mon père allait pêcher jadis, et où je suis souvent allé prendre l’air, voir les oiseaux, cette fois-ci un cormoran, écouter le bruit de l’eau et ramasser des trucs parmi le bois flotté. J’ai eu de la chance ce jour-là, il faisait un temps radieux. Je ne suis resté que quelques minutes. J’ai avancé jusqu’à la passerelle métallique qui enjambe l’embouchure du Caudau, un petit affluent de la rive droite, peu après le barrage. Depuis la rembarde je voyais dans l’eau limpide du ruisseau une sombre masse d’environ un mètre sur deux, que j’ai d’abord prise pour un tapis d’algues, avant de réaliser que c’était un banc de centaines de petits poissons serrés les uns contre les autres. Des ablettes, m’a dit un ancien qui se trouvait là. (Plus tard dans la semaine j’ai publié une photo du banc sur Facebook et quelqu’un a expliqué que c’était le frai des ablettes). Ce jour-là j’ai passé l’après-midi dans mon bois de Cunèges, où je n’étais plus allé depuis exactement deux ans. J’étais content de le revoir mais contrarié de ne pas avoir le temps d’y remettre autant d’ordre qu’il aurait fallu. En Gironde j’ai consacré une après-midi à faire des courses dans Bordeaux. Je n’ai rendu visite qu’à maître Isidore, en son atelier d’Ali Baba. J’ai passé le reste du temps près du cher Bassin, entre Biganos et Andernos. Ces jours-ci mon hôtesse hébergeait aussi une petite poule de Hollande, d’un beau noir à reflets verts, avec sur la tête une huppe blanche. D'ordinaire je ne raffole pas de ces races décoratives, mais la compagnie du petit volatile m’a bien plu. Un peu partout sur la route j’ai fouillé des boites à livres. Parmi les meilleures prises, deux brochures des sixties sur le Badminton et sur la Morue, un livre de 1912 sur les Balkans, et le journal posthume de Pascal Sevran. Isidore aussi a institué une boite à livres dans son Epicerie (allez le voir, 17 rue Elie Gintrac). Il comprend que je pique des livres pour les revendre. J’ai pris chez lui Une rencontre à Pékin, de Jean-François Billeter (Allia, 2017). J’ai d’ailleurs lu ce bon livre, où le sinologue raconte comment il a connu la jeune Chinoise qu’il a épousée dans les années soixante. Il y a là une évocation glaçante des années de furie maoïste, du fliquage mesquin généralisé. Et puis je suis rentré, m’occuper de mes parterres.

lundi 7 février 2022

nouvelles

Ma vie palpiteuse, suite. 
   Deux fois cette semaine une mouche a voleté dans la voiture, l’autre soir il y en avait une qui bourdonnait vers la lampe du salon, ce matin dans le couloir j’ai écrasé le premier moustique de la saison. L’un après l’autre les insectes rentrent des sports d’hiver et vont commencer à nous faire déguster leur vivre-ensemble. Le printemps déjà menace. D’un autre côté j’ai aussi entendu la première mésange de l’année.
    Ma chère sœur et marraine rapatriée, que j’hébergeais avec ses chats depuis la mi-octobre, a enfin pu acheter une maison en ville et y a emménagé cette semaine. Cela me rend un peu plus disponible pour mes différents travaux, mais les jours continuent de n’avoir que vingt-quatre heures et je fais ce que je peux.
    Ma belle volière est un peu en panne. La structure a été montée rapidement mais l’installation du grillage et les finitions prennent du temps et les rudesses de la saison, où l’on n’a guère le choix que de travailler dans le froid ou sous la pluie, n’incitent guère à ce genre d’exercice. Il faut attendre.
    Hier j’ai rendu service à ma chère voisine la colonelle, ses clés de maison étaient enfermées dans sa boite à gants coincée. J’ai réussi à écarter suffisamment un bord pour y passer les doigts et saisir le trousseau. C’était peu de chose, mais pour me remercier elle vient de m’offrir un coffret de conserves de chez Fauchon. C’est très aimable, ça va me changer un peu de mon régime d'Eco+ et de Top Budget.
    Ces temps-ci je vais chaque jour passer les dernières heures de l’après-midi dans les bois. En ce moment surtout dans le bois en longueur, au Désert, que j’avais délaissé depuis des mois. Un bûcheron de rencontre m’a gracieusement débité quatre chênes morts sur pied en bûches de cinquante et je vais les récupérer par petits chargements quotidiens. Le champ voisin est en friche cette année, j’ai trouvé un passage providentiel par où je peux avancer ma voiture jusqu’à la lisière. C’est la saison paisible où les feuilles sont tombées, les herbes aplaties, on y voit mieux pour nettoyer. Et c’est le bon moment pour regarder la silhouette des arbres.
    Je vais partir demain en voyage vers le Sud, Périgord et Gironde, pour une dizaine de jours. Dieu me garde, à travers les périls.