dimanche 31 mars 2024

captivité

Encore une bédé empruntée à Loulay, et enfin une bonne, ce n’est pas si fréquent : S’enfuir, sous-titré Récit d’un otage, du dessinateur québécois Guy Delisle (Dargaud, 2016). Cette histoire vraie raconte l’enlèvement à Nazran, en Ingouchie, d’un membre de Médecins Sans Frontière, Christophe André, et sa séquestration dans un bled de la Tchétchénie voisine pendant plus de trois mois, de juillet à octobre 1997. Le dessin n’est pas virtuose mais efficace, la narration habile, émaillée de petits incidents significatifs. Il règne dans la quasi totalité du livre une ambiance obscure car les images sont comme voilées d’un gris plus ou moins foncé, du fait que le captif est maintenu enfermé dans des pièces sans éclairage et que les scènes d’extérieur se déroulent de nuit. Pour illustrer le fait que l’otage ne parle pas russe, ou quelle que soit la langue locale, et ne comprend donc pas ses ravisseurs quand ils parlent entre eux ou s’adressent à lui, le dessinateur les fait s’exprimer en caractères cyrilliques : idée ingénieuse, en tout cas pour le lectorat qui, comme moi, ignore aussi cette langue, car lire des caractères indéchiffrables est en effet comme entendre des paroles incompréhensibles (je me suis demandé si c’étaient des mots réels ou simulés). Tout au long de ce fort volume (432 pages) on se sent oppressé par les conditions d’incarcération de l’otage. Ses ravisseurs caucasiens ne sont pas des brutes sadiques mais des brutes quand même, qui le maintiennent menotté à un radiateur ou à un pied de lit, quand ce n’est enfermé dans un placard, le font coucher sur un grabat et le nourrissent de bouillon, en lui offrant quand même une clope de temps en temps. La scène de l’évasion, dans les dernières pages, se lit le souffle coupé. Un bon livre.

samedi 30 mars 2024

dates

    En feuilletant les Récréations mathématiques et problèmes des temps anciens et modernes, de W Rouse Ball (Librairie Scientifique A Hermann et Fils, 1909), livre qui m’attirait mais dans lequel je dois avouer que je ne comprends à peu près rien, je remarque cette Question curieuse : Quelles sont les années bissextiles commençant par un jeudi ? Je ne me l’étais jamais posée et je suppose que vous non plus, chers lecteurs, mais après tout ce divertissement n’est pas indigne. Au bout de deux pages d’explications dont le sens m’échappe, je contemple les réponses, limitées aux siècles les plus proches : 1604, 1632, 1660, 1688, 1728, 1756, 1784, 1824, 1852, 1880, 1920, 1948, 1976, 2004, 2032, 2060, 2088. On s’est contenté d’ajouter : etc. Cette énumération me donne le vertige. Il y a là des dates appartenant décidément au passé, puis celles qui étaient du futur pour l’auteur mais sont du passé pour nous, enfin celles qui sont encore du futur pour nous-mêmes aujourd’hui. La prochaine n'est pas loin, 2032, mais... Où serons-nous alors, si nous sommes encore, cela est incertain.

(Référence : Récréations mathématiques et problèmes des temps anciens et modernes, par W Rouse Ball (de Cambridge), Deuxième édition française, traduite d’après la Quatrième édition anglaise et enrichie de nombreuses additons par J Fitz-Patrick, Troisième partie, pages 125-126.)

mardi 26 mars 2024

tungstène

Lu la bédé Tungstène, du scénariste et dessinateur brésilien Marcello Quintanilha (Editions Çà et Là, 2015). Cela raconte les interactions entre quelques personnages pendant une demi-journée dans une banlieue de Bahia. Les faits varient en gravité entre les bagatelles de la vie quotidienne et la violence du fait divers, avec quelques invraisemblances. L’action principale est l’arrestation mouvementée de deux truands pratiquant la pêche à l’explosif au bord de la mer, au pied d’une forteresse. Les quatre principaux personnages sont un sergent retraité, qui repère les malfaiteurs et veut les faire arrêter, un rasta dealer, plus ou moins son ami, qui rechigne puis accepte d’appeler un policier dont il est l’informateur, le policier, un gros noir costaud en pleine forme, et son épouse, une belle métisse qui glande à son domicile. Une particularité de ce récit est qu’il n’y a aucun personnage franchement positif, tous sont plus ou moins tarés : le sergent aime l’ordre mais il est irascible et vantard, le dealer est cool mais pourri, le policier est efficace mais c’est un hâbleur, un homme brutal et un mari volage, quant à son épouse elle raconte à tout le monde qu’elle s’apprête à le quitter mais ne le fait jamais. Il se dégage ainsi de cette histoire une impression de médiocrité humaine générale. Cette vision pessimiste est renforcée du fait que le récit se termine en queue de poisson sur des images du dealer en mauvais état, titubant la nuit au milieu d’une route. C’est original, sans être captivant. Le titre n’a pas de rapport direct avec le récit, dans lequel il n’est jamais question de tungstène. Une note du rabat indique que c’est le métal ayant le plus haut degré de fusion, suggérant par là une signification symbolique, sur laquelle se pencheront ceux qui n’ont rien de mieux à faire de leur temps. Une déception : la belle image de couverture ne correspond à aucune scène du livre.

lundi 25 mars 2024

couleurs

    J’ai cru comprendre (soyons prudent) en lisant la Contribution au Traité des couleurs de Goethe, de Jean-Christophe Sekinger (1997) que certains jadis établissaient une corrélation entre lumière et couleurs, selon laquelle ma préférée couleur, le jaune, serait la plus claire, la plus proche du blanc, et sa complémentaire, le violet, la plus sombre, la plus proche du noir.

vendredi 22 mars 2024

héros

La bédé No pasarán est un épisode des aventures de Max Fridman pendant la guerre d’Espagne, par le dessinateur et scénariste italien de gauche Vittorio Giardino (Glénat, 2011). Le héros franco-suisse prend des risques invraisemblables pour retrouver un ami, juif comme lui, disparu dans la Catalogne en guerre. Les bombardements le font trembler mais quand il se prend un pruneau dans le bras, il dit Bah, ce n’est rien... Le dessin est moyen et le scénario compliqué, je ne suis pas sûr d’avoir bien discerné toute la ribambelle d’espions, faux-espions et contre-espions. Par contre la caractérisation morale des différents groupes est assez claire : les juifs sont formidables, les chrétiens sont des salauds, les «fascistes» n’en parlons pas, les révolutionnaires idéalistes sont des braves gars, et les staliniens sont des gros vilains. On jugera là du grand courage intellectuel de l’auteur. Reconnaissons qu’il fait quelques efforts pour être nuancé : le protagoniste désabusé avoue «qu’on devient comme eux» (en parlant des phalangistes) et que «penser avoir raison ne suffit pas pour fusiller quelqu’un» (pages 125-126). Mais dans l’ensemble cette nopasaranerie n’est pas terrible.

mercredi 20 mars 2024

court

LA VIE BREVE

Court-bouillon

Court-circuit

Courte échelle

Court-métrage

Courte paille

Court terme

Courte vue

mardi 19 mars 2024

cour

POETES DE COUR

Poète de cour d’appel

Poète de cour d’assises

Poète de basse-cour

Poète de cour de cassation

Poète de cour des comptes

Poète de cour d’école

Poète de cour martiale

Poète de cour des miracles

Poète de cour de récréation

Poète de cour suprême

jeudi 14 mars 2024

ménage

Un autre de mes travaux intermittents ces jours-ci consiste à tirer avantage d’une dizaine de petits arbres morts, pour la plupart des aubépines, au bosquet de la Rigeasse. Certains sont tombés dernièrement, soufflés par le vent, d’autres ne tenaient plus debout que soutenus par les énormes cordes de lierre qui les enserraient. Je dégage ces matériaux, je trie. Je teste le bois mort en le tapant au sol. Ce qui se casse tout seul est trop pourri pour être conservé, je ne fais de bûches qu’avec les parties les plus dures. Je coupe aussi des buchettes dans les plus grosses tiges de lierre. Cela donne du bois médiocre, qui brûle vite, mais quand même utile et il est gratuit. La plupart de ces ruines végétales se trouvent à la lisière nord, où j’en profite pour faire du ménage. C’est dans cette bordure que se tiennent deux grands vieux ormes qui survivent mystérieusement, alors que tous les autres meurent jeunes. L’un des deux pourtant porte une vilaine blessure à deux mètres du sol, provoquée m'a-t-on dit par un coup de foudre il y a longtemps, mais qui n’affecte pas sa vigueur. Il y a aussi, à l’extrémité ouest de cette lisière, quelques beaux vieux pieds de Cornouiller mâle. J’ai passé un moment à les examiner. Ils ont ces temps-ci leurs petites fleurs jaunes, qui sortent avant les feuilles. C’est une espèce au bois durissime, plus dur encore que celui du Cornouiller sanguin, et qui lui vaut le surnom de bois de fer. Certains rameaux semblent assez minces pour être coupés au sécateur, mais requièrent la scie. Je nettoie ces arbres désordonnés, je leur ôte des branches cassées ou mal placées, je les aide à retrouver belle allure.

lundi 11 mars 2024

cyprès

Un de mes travaux intermittents ces jours-ci consiste à mettre en pièces un arbre que j’ai dû abattre dans mon jardin. C’était mon seul cyprès, planté près du portail il y a une quinzaine d’années. Il était alors moins haut que moi. Une fois, quelques années plus tard, quand il mesurait déjà trois quatre mètres, un coup de vent l’a poussé, il s’est affalé en biais contre le toit du hangar, à deux mètres de là. Je l’ai redressé et tuteuré ou haubanné quelque temps, en me disant que si cette mésaventure se reproduisait, je le supprimerais. Il a tenu bon, bien droit pendant des années. Dernièrement il s’élevait jusqu’à plus de huit mètres et formait un beau duo de gardiens méridionaux avec le laurier, qui pousse de l’autre côté du portail. Cet automne il a souffert d’une tempête, qui l’a très légèrement mais visiblement penché. Et voilà que le mois dernier, en rentrant de Gironde alors qu’il y avait encore eu tempête pendant la nuit, je l’ai retrouvé très incliné, à l’aplomb au-dessus du coin du hangar. Les vents dominants ici soufflent de l’ouest ou du sud-ouest, mais vu l’orientation de l’arbre, le coup fatal est venu du nord-ouest. Impossible de redresser un spécimen de cette dimension, et si c’était possible cela serait vain, il resterait promis à de nouveaux assauts. Restait à le couper. J’ai laissé passer quelques jours pour songer à la question, hésitant à chercher l’aide d’un bûcheron, puis j’ai décidé d’opérer moi-même. Après avoir dénudé le tronc sur un mètre de haut pour y voir plus clair, j’ai appliqué ma scie au niveau le plus pratique, à quatre-vingt centimètres du sol. Le tronc était large d’une quinzaine de centimètres à cette hauteur et je l’ai assez facilement scié jusqu’aux deux tiers, quand il s’est affaissé sur le toit du hangar un peu plus brutalement que je n’aurais pensé, mais en n’y cassant que deux tuiles. A ce moment par coïncidence sont passés dans la rue mon voisin Maurice, qui m’a prêté une scie électrique, et l’ami Cyril, qui m’a aidé à finir de scier l’arbre et à le faire tomber au sol, où il git depuis une dizaine de jours. Il interdirait l’entrée de véhicules par le portail, si le portail n’était de toute façon maintenu fermé depuis le début de l’année, les pluies ayant rendu le jardin trop boueux pour que j'y gare ma voiture automobile. Il y a là peut-être une leçon : les cyprès sont faits pour pousser en terrain méditerranéen sec et pierreux, non dans de l’argile molle et gorgée d’eau. Je n’essaierai pas d’en planter un autre. Celui-ci faisait de temps en temps des petits, qui poussaient dans les interstices du dallage à proximité. Des quelques pousses que j’ai essayé de récupérer, toutes ont périclité sauf une, qui a donné une belle tige de quarante centimètres. Je l’ai plantée l’an dernier en lisière d’une parcelle dans les collines, on verra bien ce qu’elle donne. En attendant, aux moments où il ne pleut pas et où je n’ai rien de plus urgent, je coupe toutes les branches du cyprès tombé, les plus fines au sécateur, les plus grosses à la scie. Puis je les recoupe en morceaux assez petits pour les entasser dans mes bacs en plastique et les emporter à la déchette. Je n’ai pas de remorque et n’en voudrais pas, mais je peux placer trois bacs sur la banquette arrière et un quatrième dans le coffre. J’ai déjà fait cinq ou six voyages, le prochain devrait être le dernier, j’arrive au bout. Débiter un cyprès est pour moi un travail inhabituel. Je suis étonné par la densité de ce tronc solide, que je conserverai à toute fin, et par la lourdeur du feuillage très dense. L’arbre est garni de cônes sphériques innombrables, assurément plus de mille, les uns neufs et compacts, les autres secs et craquelés, j’en ai gardé un petit tas. Quand je manipule les branches, elles dégagent un pollen jaune qui s’envole en poussière. Ici et là je trouve un nid en ruine, fait de branchettes ou de mousse. Je me souviendrai de ce long chantier.



dimanche 10 mars 2024

samedi 9 mars 2024

bas

PAYS BAS

Basses-Alpes

basse besogne

bas beurre

Basse-Bretagne

Basse-Californie

bas clergé

Bas-Congo

bas-côté

basse-cour

basses eaux

Basse-Egypte

Bas-Empire

bas étage

bas-fond

basse-fosse

basse fréquence

bas instincts

bas-latin

bas Moyen Age

bas peuple

Basse-Pointe

basse pression

bas prix

Basses-Pyrénées

bas quartier

bas-relief

Bas-Rhin

basse température

basse tension

Basse-Terre

bas-ventre

vendredi 8 mars 2024

Evita

Pour des raisons obscures, j’ai passé un moment à me renseigner sur Eva Perón (1919-1952) dans les articles de Wikipédia et dans le livre de Jean-Claude Rolinat sur La reine sans couronne des descamisados (Aencre, 2020). Encore un cas fascinant de destin anti-marxiste, d’une forte personnalité partie du très bas de l’échelle sociale et propulsée au sommet par la célébrité artistique d’abord, puis par le mariage avec le futur président argentin. J’ignorais qu’elle n’avait été que la deuxième des trois épouses qu’a eues Juan Domingo Perón (1895-1974). Ascension fulgurante d’Eva mais chute brutale, l’idole populiste ayant été terrassée par la maladie à trente-trois ans seulement. Il y a une histoire posthume sordide du corps embaumé, soumis à divers déplacements et péripéties. A cette occasion j’ai aussi lu le manifeste «justicialiste» des Vingt vérités péronistes (Veinte verdades peronistas, 1950). Il y apparaît que c’est un classisme, c’est à dire un racisme social («Le péronisme ne reconnaît qu’une seule classe sociale : celle des travailleurs») de même que le communisme ou le nazisme (rappelons que le parti nazi, NSDAP, était le Parti national-socialiste des ouvriers allemands) avec cette différence que le péronisme se voulait chrétien («Le justicialisme est une nouvelle philosophie de la vie, simple, pratique, populaire, profondément chrétienne et profondément humaniste»). 

jeudi 7 mars 2024

Post mortem

En 1963, peu après la mort de sa mère, l’écrivain pessimiste Albert Caraco composa un petit livre, Post mortem, alignant 111 paragraphes doux-amers en hommage à la femme à qui il reprochait de l’avoir mis au monde. Je me réjouis aujourd’hui de ce que l'ami Romain Delpeuch, que j’encourageais dans cette entreprise, ait traduit l’ouvrage en anglais, langue dans laquelle peu de pages et aucun livre entier de l’auteur n’étaient lisibles jusqu’à présent. Cette version anglaise paraît d’abord en feuilleton sur le site de la maison d’édition américaine Terror House. La première livraison comprend les trente premiers paragraphes.

mercredi 6 mars 2024

mardi 5 mars 2024

avortons

Je ne suis pas contre le droit à l’avortement (je ne suis pas non plus contre le droit de ceux qui s’y opposent à exprimer leurs idées). Mais alors le cirque de l’inscription dans la Constitution, d’une nécessité discutable, avec installation d’écran géant sur la place du Trocadéro et arrivée de la présidente de l’Assemblée au son du tambour, comment dire... Cette présidence n’a jamais lésiné sur le grotesque, mais on atteint là un sommet.

samedi 2 mars 2024

Calmos

Je ne sais qui anime ni ce que fabriquent par ailleurs les Editions Calmos, à Bordeaux, mais j’aime beaucoup leurs cartes postales imitant des couvertures de Que sais-je?, devenu Où vais-je ? (Caudéran, La rocade, La traversée de Bègles, La route de Toulouse...) vues naguère chez N’a qu’1oeil, rue Bouquière.

vendredi 1 mars 2024

Bestioles

Aimable petit livre de pochette, que les Bestioles de Philippe Louche (Novland, 2023). L’ouvrage se présente comme une suite de notices placées dans l’ordre alphabétique des entrées, lesquelles sont parfois en effet des noms d’animaux (Cochon, Hiboux, Ouistiti...), plus souvent des noms de catégories zoologiques (Batracien, Bovidé, Echassier...), ou encore diverses notions plus ou moins inattendues (Belge, Churchillien, Cloîtré...) mais à propos desquelles l’auteur s’arrange toujours pour citer au moins une des dites bestioles. Le mot du titre est bien choisi pour indiquer que l’on parle ici des animaux avec moins de scientificité que de désinvolture, malgré des coquetteries terminologiques. Les bêtes sont plus souvent un prétexte à causer de ceci ou cela, surtout de belles-lettres, sur le ton badin du dilettante. Au plaisir de cette lecture légère s’ajoutait pour moi celui de retrouver sur la couverture une photo de l’auteur enfant parmi des singes, qui orne encore un de ses blogs.