Encore une bédé empruntée à Loulay, et enfin une bonne, ce n’est pas si fréquent : S’enfuir, sous-titré Récit d’un otage, du dessinateur québécois Guy Delisle (Dargaud, 2016). Cette histoire vraie raconte l’enlèvement à Nazran, en Ingouchie, d’un membre de Médecins Sans Frontière, Christophe André, et sa séquestration dans un bled de la Tchétchénie voisine pendant plus de trois mois, de juillet à octobre 1997. Le dessin n’est pas virtuose mais efficace, la narration habile, émaillée de petits incidents significatifs. Il règne dans la quasi totalité du livre une ambiance obscure car les images sont comme voilées d’un gris plus ou moins foncé, du fait que le captif est maintenu enfermé dans des pièces sans éclairage et que les scènes d’extérieur se déroulent de nuit. Pour illustrer le fait que l’otage ne parle pas russe, ou quelle que soit la langue locale, et ne comprend donc pas ses ravisseurs quand ils parlent entre eux ou s’adressent à lui, le dessinateur les fait s’exprimer en caractères cyrilliques : idée ingénieuse, en tout cas pour le lectorat qui, comme moi, ignore aussi cette langue, car lire des caractères indéchiffrables est en effet comme entendre des paroles incompréhensibles (je me suis demandé si c’étaient des mots réels ou simulés). Tout au long de ce fort volume (432 pages) on se sent oppressé par les conditions d’incarcération de l’otage. Ses ravisseurs caucasiens ne sont pas des brutes sadiques mais des brutes quand même, qui le maintiennent menotté à un radiateur ou à un pied de lit, voire enfermé dans un placard, le font coucher sur un grabat et le nourrissent de bouillon, en lui offrant une clope de temps en temps. La scène de l’évasion, dans les dernières pages, se lit le souffle coupé. Un bon livre.
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