mercredi 28 juillet 2021

brelan

 Je traduis ce brelan de tweets, de l’hérétique irlandais Keith Woods : 

«La croyance de gauche, que les coopératives seraient une sorte d’arme magique contre le capitalisme, ne me convainc pas beaucoup. La plupart des employés n’ont aucune envie de gérer l’entreprise pour laquelle ils travaillent, ils veulent juste faire leurs heures pour un salaire décent. 

J’ai fait quelques boulots merdiques mais n’ai jamais souhaité ajouter aux corvées pour lesquelles j’étais payé, la peine supplémentaire d’avoir à gérer l’entreprise au quotidien. Je ne me sentais pas plus aliéné par mon travail, du fait que je n’avais pas à décider de quelle couleur on peignait les murs. 

Sans compter qu’à mon avis ces boites auraient vite fait faillite et que je me serais retrouvé au chômage, si tous mes collègues avaient eu leur mot à dire pour chaque décision.»

lundi 26 juillet 2021

best-sellers

    Dans les boites à livres je tombe souvent sur des best-sellers qui ont eu leur heure de gloire il y a quelques décennies et que j’ai vaguement connus de réputation, au moins de nom, mais qui ne m’ont pas assez attiré en leur temps pour que je cherche à les lire, et dont je dispose maintenant à volonté. Dernièrement j’en ai lu deux. 
    D’une part L’os de Dyonisos, de Christian Laborde (1987), célèbre pour avoir subi la dernière censure littéraire en France. Il fut interdit pour pornographie, ce qui fait sourire quand on considère le contenu assez bénin de l’ouvrage, vu de notre époque d’OnlyFans. Mais on se console pour l’auteur, tant il est vrai que ce genre de condamnation, loin de nuire à la réputation, est au contraire la meilleure publicité possible et une véritable assurance-vie artistique. L’histoire est plus ou moins autobiographique, j’imagine. Elle raconte quelques semaines ou quelques mois de la vie d’un professeur de lettres et d’occitan dans un lycée catho du Sud-Ouest (comme l’auteur a dû l’être), sa liaison avec une femme, ses déboires avec ses collègues, ses activités radiophoniques, etc. C’est un gascon lettré plein de verve, qu’on lit avec plaisir. Les moments sexuels ne sont pas de mes préférés, mais j’aime bien un passage comme «J’arrivai à hauteur d’une haie de frênes. ... Je sais faire des sifflets avec un bout de frêne. Ce n’est pas bien compliqué, je vous expliquerai ça une autre fois…» Il y a quelques traits idéologiques (anti-vieux, anti-patriotes, etc) typiques de l’époque et qui peuvent agacer, je ne sais ce que l’auteur en dirait aujourd’hui. Le livre est plein d’entrain mais au bout du compte il ne s’y passe pas grand chose et l’on reste un peu sur sa faim. Je me demande ce que mon ami Michel Ohl en pensait, je ne me rappelle pas qu’il m’en ait jamais parlé. Il partageait avec Laborde certains goûts (pour Nougaro, pour Manciet, comme il apparaît dans le texte, mais aussi pour Le tour de France, paraît-il). 
    J’ai lu d’autre part, tenez-vous bien, La valise en carton (1984) de Linda de Suza, dont Laborde se moque une ou deux fois, mais l’avait-il seulement lue ? Pour ma part je ne connais pas les chansons de Linda et le peu que j’en ai entendu ne m’a pas fait grande impression, en revanche je n’ai rien trouvé de risible dans son autobiographie. Ce livre n’a aucune prétention littéraire mais il est dans l’ensemble correctement écrit, en tout cas clairement, même si c’est je suppose avec l’aide d’un secrétaire. Je n’ai pas aimé le sentimentalisme du prologue, pour le reste cet ouvrage est intéressant comme document, moins sur la vie difficile des émigrés portugais que sur celle en particulier de cette jeune femme pleine d’énergie à qui ses parents ont mené la vie dure en l’exploitant, en l’injuriant et en la battant. La petite bonne portugaise étonne par sa force de caractère. Elle considère par exemple avec froideur mais honnêteté ses liaisons avec quelques hommes, qu’elle a ensuite préféré quitter, dont le père de son fils. Elle m’amuse par son franc-parler, jugeant ici être mal habillée «comme une gitane», donnant là un conseil peu féministe mais de bon sens : «Quand on a besoin de quelque chose, il ne faut pas hésiter une minute à utiliser tous ses atouts. La séduction, c’est notre arme à nous, les femmes.» Eh oui, c’est l’arme qui désarme les hommes.

vendredi 23 juillet 2021

retirada

 Il paraît que les Espagnols, pour quelque raison, nomment la retraite jubilación. Je ne sais trop ce qu’ils entendent par là mais en ce qui me concerne, je ne jubile pas beaucoup. Mon impression est plutôt celle de la retirada et de l’exil. Un ami m’a confié que son père avait passé son premier mois de retraite à dormir et à jouer au Solitaire. J’envie presque une telle réaction. Pour l’instant je ne profite guère de ces grandes vacances définitives, parce que d’une part un joli peloton de corvées se conjuguent ces temps-ci pour me bouffer l’air, et que d’autre part je ne peux me défaire du sentiment que la partie est finie et que j’en suis aux prolongations, sans garantie sur leur durée. Mais enfin nous allons tâcher de mener notre barque jusqu’où nous pourrons.

mercredi 7 juillet 2021

Apostilles

Ces derniers temps j’ai lu très lentement, genre une double page par jour, un recueil de poésies que je m’étais aventuré à acheter, les Apostilles de Gaël Guillarme, honoré du Prix des Trouvères 2021, Grand Prix de la Ville du Touquet. J’avais eu vent de cette nouveauté des éditions Henry parce que je lis à l’occasion les communiqués de l’auteur sur un réseau social. Une vertu de cet ouvrage est l’adéquation du titre au contenu, car la centaine de poèmes qu’il contient sont tous intitulés Apostille à ceci ou à cela. Une vertu supplémentaire est que ces Apostilles sont présentées dans l’ordre alphabétique de leur sujet (Apostille à l’abandon, à l’absence, etc, jusqu’à l’Apostille à la vieillesse), à l’exception des douze Apostilles aux mois de l’année, placées dans l’ordre chronologique. Ce sont là des poèmes brefs, il y en a entre un et trois par page. La plupart sont en vers libres, mais l’auteur s’est plu à en composer certains selon une forme précise : texte dessiné en triangle (Apostille à la source), vers rythmés et rimés (Apostille à l’insouciance), bloc de douze alexandrins (Apostille à l’unité)… Le mot Apostille désigne une inscription marginale, je le prends ici au sens d’évocation, une évocation esquissée en quelques phrases, en quelques touches plus ou moins transparentes, plus ou moins énigmatiques, parfois éblouissantes : «Eaux vives qui paraissez moudre le froment de la lumière…» (Apostille à l’inconstance).

lundi 5 juillet 2021

retraite

 Bientôt je serai à la retraite, officiellement le 1er septembre et concrètement le 13 juillet au soir. A l’approche de cette échéance, je considère ce que je vais y gagner et ce que je vais y perdre. Côté gain, plus de temps libre, et je serai débarrassé de la part de corvées que comporte mon travail, ainsi que de la pénible situation actuelle, l’université étant chamboulée par les travaux et accablée par la crise sanitaire. A cet égard, je vais prendre ma retraite comme on prend la fuite. Côté dégâts, tout d’abord la pensée déprimante que le départ à la retraite est quand même un grand pas dans la direction du cimetière. Ensuite la perspective de la précarité financière (je n’ai pas réussi à savoir combien je vais palper, mais dans un premier temps il n’est pas certain que ma pension s’élève à seulement 500 euros). Enfin la perte des avantages dont je disposais : la grande ville, ses services, ses grands magasins, ses grandes biblis, ses boîtes à livres cossues, ses imprimantes et ses scans, toutes choses dont je vais devoir me passer au fond de ma brousse. Ce que je vais aussi regretter, c’est de ne plus pouvoir travailler dans le Sudoc, le catalogue collectif des biblis universitaires de France, qui est vraiment un outil épatant, dans lequel j’aurai œuvré plus d’un quart de siècle comme bibliographe de base, à créer et à retoucher des notices. C’est une des choses qui va le plus me manquer.