samedi 26 mars 2022

Binic

A la première page de Pas de panique à Binic, Bill Térébenthine évoque la musique de Bill Evans, que je connais mal, mais en l’écoutant j’ai trouvé qu’elle procurait un fond sonore adéquat pour la lecture de cet ouvrage. Il s’agit d’un pdf (GFIV Editions, 2021, gratis en ligne) qui rassemble des notes dont au début quelques unes portent sur des sujets divers, mais ensuite la plupart se rapportent à deux grands thèmes. D’une part la retraite, que ce professeur agrégé d’arts plastiques a prise en 2020 à 62 ans, dans un village de la côte bretonne. Il fait des allusions discrètes à ce que fut sa vie de famille mais semble maintenant n’avoir plus d’autre compagnie que celle de son chien. Comme nous sommes à peu près contemporains, je remarque les quelques vieux souvenirs que nous avons en commun (la lecture de Bob Morane, l’émission Pas de panique, les Stratégies obliques d’Eno). Je compare aussi ce en quoi nos expériences diffèrent, du fait de nos situations ou de nos tempéraments (sa sécurité financière versus ma pension chétive, sa joie de profiter enfin de la solitude et de la liberté versus mon sentiment de surmenage pendant plusieurs mois). Un autre grand thème est un regard rétrospectif vers le métier de l’auteur, basé sur des extraits de journaux datant de ses années d’exercice. Il a été en poste dans un collège «difficile», où il arrivait que des projectiles volent à travers la classe, mais se plaint moins des élèves que des collègues et de l’encadrement. Dans ses propos plus récents, il a ce commentaire laconique mais explicite, faisant allusion je suppose à la décapitation de Samuel Paty : «Si on voyait venir? Bien sûr. Mais tout le monde s’en foutait tellement que ça aussi, l’émergence d’une barbarie banalisée, c’était un peu comme une hallucination, un truc que tu es le seul à percevoir et dont tu ne peux pas parler avec quelqu’un parce tout le monde a intégré la loi du silence.» Bill semble avoir voulu composer un roman avant d’opter pour cette écriture autobiographique, ce qui est aussi bien. Il confie avoir eu affaire à une «éditrice underground» qui s’est distinguée par sa muflerie, et je m’amuse de songer que c’est probablement la même avec qui j’ai aussi tenté ma chance l’an dernier, pour le même résultat. A deux reprises l’auteur, qui se sentait en quelque sorte étranger à son milieu professionnel, se définit comme «homme invisible». Invisible, peut-être, mais pas illisible.

mercredi 23 mars 2022

yoga

C’était une expérience pour moi inédite et quelque peu déroutante, que de découvrir un livre non en le lisant mais en l’écoutant, en l’occurrence le Yoga d’Emmanuel Carrère, qu’Adrien B a eu l’idée de me procurer sous forme de livre-audio. Les vingt-huit chapitres sont autant de plages d’une vingtaine de minutes, soit au total un peu plus de neuf heures d’enregistrement. Je les ai auditionnées dans l’ordre, en quelques jours, un peu plus vite que je n’aurais cru, tantôt en m’adonnant à des activités simples comme de préparer une soupe, tantôt en ne faisant rien d’autre. Cette forme présente les avantages et les inconvénients de l’immatérialité : le livre ne prend pas de place sur les étagères mais il m’a manqué de ne pouvoir y souligner une phrase, ou faire des marques dans la marge, ou noter des pages sur un post-it, de façon à retrouver commodément les points sur lesquels je voudrais revenir ou que j’aimerais commenter. On ne peut non plus, comme avec un livre en papier, retourner commodément quelques pages en arrière pour vérifier un détail avant de reprendre le fil du récit. Du coup, une fois arrivé au bout, quelqu’un d’habitué comme moi à lire le crayon à la main se retrouve dépourvu de notes et n’a que des souvenirs volatiles pour parler de l’ouvrage. Il me semble que je l’ai mieux aimé dans le début que vers la fin. Lors des premiers chapitres j’ai ressenti physiquement une sorte de paix intérieure suscitée par l’expression limpide de l’auteur, bien servie par la voix sereine de son lecteur. Le thème du yoga et de la méditation, dont Carrère dit avoir une longue expérience, est central au départ, puis se maintient en filigrane tandis que différents sujets sont abordés : l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo, dont une victime était un proche de l’auteur, la grave dépression nerveuse qui conduit celui-ci à l’internement, puis son séjour dans une île grecque où il anime un atelier d’écriture avec de jeunes migrants orientaux, etc. Le discours de Carrère sur la spiritualité asiatique est plus convainquant au début, moins par la suite. Des différentes définitions de la méditation qu’il égrène au fil des pages, la meilleure m'a paru la première (de mémoire, rester un moment assis immobile et silencieux en se concentrant sur sa respiration). De même il en vient à présenter certains préceptes paradoxaux, du type avancer en reculant etc, que je n’arrivais plus à prendre au sérieux. Il y a quelques pointes de politicorrect qui m’ont agacé, ainsi quand, lors d’un bel hommage à son regretté éditeur Paul Otchakovsky-Laurens, il rapporte une anecdote amusante à propos de Renaud Camus, en prenant soin de préciser qu’il trouve justifiée la réputation de pestiféré maintenant faite à ce dernier. Enfin sa décision en hommage à POL, d’apprendre à taper au clavier en se servant de tous les doigts, m’a paru vaine. Malgré ces réserves j’ai aimé dans l’ensemble ce livre de non-fiction, où un homme intelligent fait part de ses expériences, humblement mais dans un style impeccable. Je ne récouterai peut-être pas la version audio, mais je feuilletterai volontiers un exemplaire du livre en papier, qui m’arrivera tôt ou tard entre les mains.

Photo J-F Robert, piquée dans Elle.

dimanche 20 mars 2022

Abeille

Jacques Abeille aussi est mort en janvier. A l’âge de 79 ans, ai-je appris par les réseaux. Je lis dans Wiki qu’Abeille aurait écrit certaines de ses œuvres sous le pseudonyme de Léo Barthe, et j’ai lu ailleurs que Léo Barthe était son vrai nom et l’autre son surnom. Je ne me rappelle pas avoir connu ce problème onomastique à l’époque où nous fûmes amis, dans les années 80 et les premières années 90. Je retrouve dans mes archives une petite vingtaine de lettres de lui, qui toutes sauf une datent de la période 1988-1993. Je les relis aujourd’hui en déchiffrant non sans difficulté son écriture oblique à l’encre noire, qu’il qualifie lui-même de «pattes de mouche». Nous avions fait connaissance dès le milieu des années 80, quand il était venu visiter l’exposition de collages érotiques que j’avais faite chez Rétho et que j’avais cavalièrement intitulée Cartes postales de cul. C’est vraiment ça, avait-il déclaré à l’ami qui l’accompagnait, inconnu de moi. Je ne sais comment j’avais eu son adresse pour l’inviter, je savais à peine qui il était. L’expo lui avait plu, il s’en était amusé. Nous aimions tous deux l’érotisme, quoique sans doute différemment, et nous avions d’autres points communs : nous étions fumeurs, nous connaissions les arts martiaux japonais (il faisait de l’aïkido, j’avais été judoka) et la philatélie (il collectionnait les timbres, j’avais fait de même dans ma jeunesse, il me remercie plusieurs fois dans ses lettres de ceux que je lui procurais). Je ne me rappelle pas qu’il soit venu chez moi, mais je suis allé quelques fois chez lui rue Beaufleury, non loin de la Victoire. Je passais aussi à l’occasion déposer du courrier («Philippe Billé, ce samedi matin, 11 février 1990, d’assez bonne heure vous enfourchâtes votre vélocipède et, sous la pluie battante, pédalâtes jusqu’à ma porte pour glisser dans la fente de la boite à lettres l’enveloppe qui contenait cinq exemplaires de la Lettre documentaire n° 6 et une dizaine de timbres oblitérés, en majorité provenant des Etats-Unis…»). Il collectionnait aussi mes publications, s’assurait qu’aucune ne lui manque, et il a participé à quelques unes. Il fut un des premiers artistes que j’aie publiés dans la série de miniatures Poqo (n° 3, 1986). Il apparaît dans une demi-douzaine de Lettres documentaires. Je regrette maintenant que la plupart de ses interventions soient des courriers relatifs à la Grève de l’Art (Ld 6, 8, 19 & 25), un sujet vers lequel je l’avais entrainé, qu’il avait pris au sérieux, et qui avec le recul me paraît sans intérêt. Ce projet absurde de Grève de l’Art (1990-1993) n’a en fait jamais servi qu’à la publicité personnelle de son initiateur, un provocateur gauchiste non dénué de talent, notamment dans l’art de l’auto-promotion. J’ai du mal aujourd’hui à relire cette rhétorique habile mais stérile de l’artiste anti-artiste, de l’écrivain anti-écrivain, du professeur anti-professeur. Je retiens en revanche la belle formule d’Abeille dans la Ld 6, selon laquelle «Une œuvre (est) fondamentalement une certaine concrétion de temps.» Et j’ai bien aimé les Notes de lecture qu’il a fournies pour la Ld XXII. J’ai moi-même rendu compte d’un de ses livres dans la Ld 62, en des termes qui traduisaient mes sentiments mélangés : dans le peu que j’ai lu de lui je reconnaissais la valeur de son écriture ouvragée, mais j’aimais moins sa tournure alambiquée, et les sujets qu’il abordait ne m’attiraient pas. Nous avons dû discuter de nos désaccords en la matière, car dans une lettre où il m’annonce la parution d’un nouveau roman, il anticipe mes «sarcasmes» quant à ses «sinuosités verbales». Nous avions cependant assez de connivences pour bien nous entendre et j’aimais sa conversation intelligente. Il a fait partie pour moi de ces ainés avec qui je n’étais pas toujours d’accord mais à qui je dois une part de mon instruction. C’est aussi grâce à lui que j’ai publié ma première traduction de récit de naufrage, après qu’il m’eut mis en contact avec des éditeurs. Nous nous sommes fâchés brusquement en 93, après que j’eus fait savoir dans un bulletin (de Petchanatz, me semble-t-il) le grand ennui que m’inspirait la prose de Francis Giraudet. Je ne me souviens ni de mes termes exacts, ni de ceux d’Abeille, mais l’échange a été vif et la sévérité de sa condamnation m’a étonné. Je ne voulais pas que nous nous fâchions, je voulais passer l’éponge et j’ai dû lui tendre plus d’une perche après cet incident, comme en témoigne encore la plus tardive de ses lettres, très polie, datant de 97. C’est ainsi, je ne suis pas très vif, il m’a fallu plusieurs années avant de comprendre que c’était fini.

Photo piquée chez Babelio.

mercredi 16 mars 2022

phi

Quoi qu'il en dise, un parti de gauche qui adopte pour symbole une lettre de l’alphabet grec est un parti de profs, qui n’a plus rien à foutre du monde ouvrier.

mardi 8 mars 2022

étudiantes

    Le bulletin institutionnel, que je reçois encore, m’apprend qu’il y a 67 % d’étudiantes à l’université Bordeaux-Montaigne en 2021-2022 et que cette proportion «est restée relativement stable ces dix dernières années». Je suppose que si c’était 67 % d’étudiants, les féministes chouineraient qu’elles sont opprimées par le vilain patriarcat. Mais là, évidemment, no problemo.

samedi 5 mars 2022

violettes

Ma vie palpiteuse, suite. J'ai été augmenté ! Le cumul de mes trois pensions s'élève non plus à 577 mais à 587 euros. Not bad. Je suis aussi descendu à Loulay, chef-lieu du canton, retirer un dossier de candidature aux aides de la banque alimentaire. J'apprends à cette occasion que pour y avoir droit, «vos ressources ne doivent pas dépasser le montant du RSA». Traduction : l'aide est réservée aux bénéficiaires du RSA, lequel s'élève parait-il à 565 euros, ce qui veut dire que les nantis dans mon genre, qui palpent 22 euros de plus, n'y ont théoriquement pas droit. L'assistance publique a de ces rigueurs... Je vais quand même postuler, on verra bien.
    A part ça, maintenant que je n'habite plus en ville, j'apprécie le loisir d'observer la nature au jour le jour. Quelle paix dans les bois en janvier-février, quand la végétation est au repos, quand tout est plus net, plus dégagé. Au début mars on sent déjà pointer la menace du printemps, tout va bientôt se remettre à exploser dans tous les sens. En attendant, comme dit la chanson, «Au bois d'mon coeur, y a des petites fleurs» : les primevères jaunes, les violettes mauves et les violettes violettes, les plus belles. C'est une consolation.