C’était une expérience pour moi inédite et quelque peu déroutante, que de découvrir un livre non en le lisant mais en l’écoutant, en l’occurrence le Yoga d’Emmanuel Carrère, qu’Adrien B a eu l’idée de me procurer sous forme de livre-audio. Les vingt-huit chapitres sont autant de plages d’une vingtaine de minutes, soit au total un peu plus de neuf heures d’enregistrement. Je les ai auditionnées dans l’ordre, en quelques jours, un peu plus vite que je n’aurais cru, tantôt en m’adonnant à des activités simples comme de préparer une soupe, tantôt en ne faisant rien d’autre. Cette forme présente les avantages et les inconvénients de l’immatérialité : le livre ne prend pas de place sur les étagères mais il m’a manqué de ne pouvoir y souligner une phrase, ou faire des marques dans la marge, ou noter des pages sur un post-it, de façon à retrouver commodément les points sur lesquels je voudrais revenir ou que j’aimerais commenter. On ne peut non plus, comme avec un livre en papier, retourner commodément quelques pages en arrière pour vérifier un détail avant de reprendre le fil du récit. Du coup, une fois arrivé au bout, quelqu’un d’habitué comme moi à lire le crayon à la main se retrouve dépourvu de notes et n’a que des souvenirs volatiles pour parler de l’ouvrage. Il me semble que je l’ai mieux aimé dans le début que vers la fin. Lors des premiers chapitres j’ai ressenti physiquement une sorte de paix intérieure suscitée par l’expression limpide de l’auteur, bien servie par la voix sereine de son lecteur. Le thème du yoga et de la méditation, dont Carrère dit avoir une longue expérience, est central au départ, puis se maintient en filigrane tandis que différents sujets sont abordés : l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo, dont une victime était un proche de l’auteur, la grave dépression nerveuse qui conduit celui-ci à l’internement, puis son séjour dans une île grecque où il anime un atelier d’écriture avec de jeunes migrants orientaux, etc. Le discours de Carrère sur la spiritualité asiatique est plus convainquant au début, moins par la suite. Des différentes définitions de la méditation qu’il égrène au fil des pages, la meilleure m'a paru la première (de mémoire, rester un moment assis immobile et silencieux en se concentrant sur sa respiration). De même il en vient à présenter certains préceptes paradoxaux, du type avancer en reculant etc, que je n’arrivais plus à prendre au sérieux. Il y a quelques pointes de politicorrect qui m’ont agacé, ainsi quand, lors d’un bel hommage à son regretté éditeur Paul Otchakovsky-Laurens, il rapporte une anecdote amusante à propos de Renaud Camus, en prenant soin de préciser qu’il trouve justifiée la réputation de pestiféré maintenant faite à ce dernier. Enfin sa décision en hommage à POL, d’apprendre à taper au clavier en se servant de tous les doigts, m’a paru vaine. Malgré ces réserves j’ai aimé dans l’ensemble ce livre de non-fiction, où un homme intelligent fait part de ses expériences, humblement mais dans un style impeccable. Je ne récouterai peut-être pas la version audio, mais je feuilletterai volontiers un exemplaire du livre en papier, qui m’arrivera tôt ou tard entre les mains.
Photo J-F Robert, piquée dans Elle.
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