mercredi 31 janvier 2024

paysannerie

    La grande affaire du moment, la nouvelle névrose collective qui s’est emparée du pays, c’est que les paysans coupent les routes parce qu’ils sont opprimés. Soi-disant. La terre ne ment peut-être pas, mais comme on ne peut en dire autant des syndicalistes et des journalistes, allez savoir. Dans mon coin les paysans ne font pas pitié, ils ont l’air de se débrouiller. Je veux bien croire que certains ont de réelles difficultés, mais ce ne sont pas les seuls à se plaindre, semble-t-il. Je leur reconnais le droit à manifester dans un cadre légal. Par contre dès qu’il s’agit de paralyser le trafic, c’est à dire de pourrir la vie des citoyens de base qui ne sont pour rien dans les ennuis supposés des coléreux, j’ai du mal à adhérer. Pour moi, il est clair que le connard sans gêne qui se permet de me barrer la route est de ce fait un ennemi. Ses revendications n’ont plus dès lors qu’un intérêt très relatif. A mépris, mépris et demi. Je connais la rhétorique selon laquelle ces pratiques lamentables seraient le seul moyen de se faire entendre. On peut en discuter. Mais il faut admettre, honnêtement, que ce type de protestation consiste à conchier la devise de la République. Il n’y a pas de Liberté quand on interdit de circuler. Il n’y a pas d’Egalité entre le crétin des barrages et le péquin impuissant. Quant à la Fraternité, laissez-moi rigoler. Je repense à l’ami qui, au temps des Gilets jaunes, devait faire le tour des ronds-points de Saintes en mendiant qu'à l’un d’eux on veuille bien lui permettre de se rendre à l’hôpital où sa femme agonisait. Pauvre pays. Bon allez, je vais m’occuper de mes arbres, ça va me calmer.

mardi 30 janvier 2024

sujets

J’ai remarqué ce nouveau tic : il n’y a plus de problèmes, il y a des sujets.

lundi 29 janvier 2024

dimanche 28 janvier 2024

Lucet

Dans le genre grand-mère bourge de gauche hystérique, Elise Lucet n’est pas ratée.

jeudi 25 janvier 2024

porte


Fb me repasse cette blague anonyme trouvée en ligne, qui m'amuse encore : 
Un jour une religieuse, toute préoccupée par sa vie spirituelle, entra précipitamment dans le bureau de François de Sales et lui demanda :
- Monseigneur, que dois-je faire pour devenir sainte ?
- Pour commencer, répondit-il, apprenez à entrer doucement sans claquer la porte.

mercredi 24 janvier 2024

chayote

Ayant découvert l’existence du fruit exotique nommé chayote ou chayotte, et appris que ce nom provenait de chayotli, mot nahuatl (la langue des Aztèques), je me dis qu’il a en effet un air de famille avec les autres mots plus connus empruntés à la même source : avocat (ahuacatl), cacao et cacahuète (cacahuatl), chocolat (xocolatl), coyote (coyotl), ocelot (ocelotl), peyotl (peyotl), sapote (tzapotl), ou encore tomate (tomatl). On remarquera que comme la plupart des américanismes, ce sont des termes relatifs à la flore et à la faune.

mardi 23 janvier 2024

Jouhandeau

    Dans le temps j’avais lu et aimé le volume XXV des Journaliers de Marcel Jouhandeau (Jd, 17 XII 2012) et de même je n’ai pas été déçu par le volume XXVIII, trouvé l'autre jour dans une boite. Ce volume paru en 1982 est je crois le dernier des Journaliers. Il porte sur la période de fin 1973 à fin 1974 et s’intitule Dans l’épouvante le sourire aux lèvres. Cette formule semble traduire l’état d’esprit de l’octogénaire à la fois serein (pas mécontent de lui, et émerveillé par le petit-fils adoptif qu’il élève comme un père) mais angoissé par la mort qu’il sent proche (il lui reste en fait cinq ans à vivre). Le livre est divisé en trois parties dont on ne sait trop à quoi elles correspondent. J’ai remarqué que dans les deux premières l’auteur se félicite d’avoir renoncé à la sexualité (pour lui l’homosexualité) mais dans la troisième il cède de nouveau plusieurs fois à la tentation (étonnante verdeur d’un homme de 87 ans). Il précise que s’il a «aimé les garçons», il a toujours respecté les enfants («La pédérastie m’est odieuse») à la différence d’un Gide (pages 51-52). Il y a quelques sujets qu’il ressasse (Dieu, l’âge, le sexe, son petit-fils) mais il sait aussi parler de tout et de rien, de façon plus ou moins laconique, et ce coq-à-l’ânisme est fait pour me plaire. J’ai recopié sur une feuille à mon usage une petite vingtaine de phrases afin de pouvoir les relire, au cas où je viendrais à me défaire de ce livre. J’en citerai ici seulement quelques unes. Il en est de graves, à propos de l’âge : «A mesure qu’on vieillit, on devient plus ou moins ridicule d’aspect, aussi convient-il par respect pour soi d’éviter de se montrer» (p 22) ... «Je ne veux plus permettre qu’on photographie les débris de mon visage ni de mon corps» (57) ... «Parfois j’interromps une des phrases que j’écris, pour me demander : - Que fais-tu là ? - Rien que balbutier encore quelques mots, en attendant la mort» (93). Il en est au contraire qui m’amusent par leur frivolité : «J’imagine, en pouffant, un pet de Caton, de Pompée ou de César» (20) ... «Guise était cocu et l’ignorait. Bautru l’était aussi et le savait. Ils déjeunaient ensemble en face l’un de l’autre. Guise : Qu’y a-t-il entre deux cocus ? Bautru : Une table» (36). Il mentionne au moins deux cas de méchanceté féminine, qui ne figureront jamais dans aucune féministologie : le souvenir de sa propre femme lui crachant au visage à table, devant témoins (70), et sa réponse cinglante à la veuve d’un ami récemment décédé, précisant au lecteur qu’ «Elle l’a rendu malheureux tout le temps qu’elle a passé avec lui» (86). Il esquisse quelques portraits, avouant sa «profonde antipathie» pour le poète Georges Hugnet, qui «battait sa mère» (124-125), évoquant ailleurs «notre ami» Roger Karl, l’acteur qui écrivait sous le pseudonyme de Michel Balfort, dont j’ai beaucoup aimé les pensées (Ld 448). Il a parfois des aphorismes bien vus, tel celui-ci, «L’appétit à table est aussi fragile, susceptible qu’en amour. Un rien l’excite, un rien l’abolit» (92), ou cet autre, «Chaque tribu a son fumet, son odeur. Les plus distinguées n’en ont pas» (196). Un bon livre, en somme.

samedi 20 janvier 2024

voeux

    Les vœux du Nouvel An, je ne sais qu’en penser. Je ne suis pas fan de cette coutume, que je trouve quand même bien aimable. N’ayant pas trouvé de règle satisfaisante en la matière, je navigue à vue, je fais profil bas. J’ai vraiment la flemme de parcourir tout mon carnet d’adresses à la recherche de destinataires. Je vérifie quand même quels ont été mes correspondants des derniers mois, mais à qui écrire, en étant sûr de ne pas importuner ? J’enverrais bien quelques souhaits sur carte postale, pour utiliser un peu l’énorme stock qui ne me sert guère, si les tarifs de la Poste n’étaient dissuasifs. Mon existence en ligne me permet la formule minimale d’adresser collectivement mes vœux à mon public, et y répond qui veut. De mon côté je réponds bien sûr aux vœux qu’on m’envoie, je les adresse aussi aux personnes à qui je dois écrire pour d’autres raisons pendant cette période. Tâcher de n’en faire ni trop ni trop peu n’est pas si facile...

jeudi 18 janvier 2024

bûches

    En rangeant des bûches l’autre jour j’ai vu que sur une s’accrochait un tout petit grillon, groggy de froid. J’ai posé le bout de bois de façon que la bestiole ne soit écrasée. Une pile de bûches abrite toujours une ménagerie clandestine et plus ou moins aimable d’araignées, rongeurs, punaises. Le menu grillon a ma préférence. Aux beaux jours souvent il y en a un qui traine dans mon couloir, vers l’entrée. J’accorde l’asile politique au portier minuscule, qui m’amuse, je lui dis toujours un mot en passant. Cet hiver et les deux précédents, c’est à dire depuis trois hivers que j’habite chez moi en quasi permanence, je n’ai acheté chaque fois que deux stères de bûches. Pour le reste le bois que je récupère dans mes parcelles suffit, mais j’en achète un peu pour avoir un minimum de vraies bûches de bûcheron. Des bûches de cinquante centimètres. Souvent elles sont un peu trop belles, c’est à dire trop grosses. Dans la dernière livraison à peu près une sur deux demande à être refendue avant d’être empilée. Je les fends avec des coins sans me presser, par prudence, jamais beaucoup à la fois. Je crois qu’il y a une petite guerre entre les bûcherons et les clients, ces messieurs livrant des bûches pas assez refendues, par économie de temps et d’effort, aussi parce que moins le bois est menu, moins il y en a dans un mètre cube. Mais je ne suis pas mal servi. Les deux stères achetés cette année, je devrais ne pas avoir à y toucher, je les garderai en réserve pour l’an prochain. Il faut penser à l’éventualité qu’on soit encore en vie l’année prochaine. On ne sait jamais.

mardi 16 janvier 2024

climat

    Pour se figurer les différences entre le climat de l’Amérique du Nord et celui de l’Europe, il faut songer par exemple que Montréal et son rude hiver se trouvent à la même latitude que Soulac, dans le Médoc (45° 30‘), ce qui tombe, dans l’arrière-pays, entre St-Genis de Saintonge et Pons.

lundi 15 janvier 2024

accent

Il est partchi. Avec la voitchure. Ce parler de banlieue n’a vraiment pas d’allure.

dimanche 14 janvier 2024

Madère 2

Lettre documentaire 521

 

DESCRIPTION DE MADERE, par Antoine Biet

 

(Chapitre I-XI, «De la situation de l’ile de Madère, de sa fertilité, et des mœurs de ses habitants», de son Voyage de la France équinoxiale en l’isle de Cayenne, entrepris par les François en l’année MDCLII, Paris, 1664, p 41-43. Les parenthèses sont de nous.)

 

Cette ile est une des principales des Canaries (hum), située dans l’Afrique, sous la hauteur de 32 degrés et 20 minutes de latitude (en fait 32° 45’), au Nord de l’Equinoxe. Cette hauteur en laquelle elle se trouve fait qu’elle est dans un très bon tempérament, parce qu’elle n’a ni de trop excessives chaleurs, ni de trop violentes froidures, ou plutôt on n’y en ressent presque point du tout, ce qui fait qu’elle est très fertile, et la terre très propre pour produire beaucoup de choses, que ne peuvent pas faire nos climats. Elle a environ dix-huit lieues de circuit. Il y a trois villes, dont la principale s’appelle Fonsaie (Funchal), demeure ordinaire du Gouverneur. Elle est aussi le siège épiscopal, mais qui est maintenant sans évêque, à cause des différends entre le Portugal et l’Espagne. Cette ville est longue et étroite, située au pied d’une haute montagne, qui a bien cinq quarts de lieue de hauteur, très difficile à monter (le Pico Ruivo, point culminant, est à 1862 m). Elle est bâtie le long du port, qui est une place en forme de croissant, de très difficile accès. Les vaisseaux viennent mouiller en assurance à une portée de pistolet de la ville. Les rues sont longues et étroites, fort mal pavées, il n’y a aucune belle maison. Le Gouverneur fait sa demeure dans la forteresse qui regarde le port, où Monsieur le Général fut le visiter. Il y a encore deux autres forteresses, l’une à l’autre extrémité de la ville du côté du Nord, et une troisième au-dessus de la ville, qui commande par tout. Ce qui rend ce lieu quasi imprenable, c’est qu’à l’entrée du port, du côté de main droite, il y a dans la mer un rocher, où actuellement Monsieur le Gouverneur faisait bâtir un fort, qui empêchera les vaisseaux d’approcher. Les églises sont assez belles, surtout la cathédrale sous le titre de Notre-Dame, très bien bâtie à la moderne (Nossa Senhora da Assunção, construite à partir de 1493). Outre le grand autel qui est dans le chœur des chanoines, il y a quatre autres autels de face, très bien dorés et ornés, dans l’un desquels repose le saint Sacrement, à la façon de Rome. Il y a encore deux autres autels dans les croisées. Il n’y a aucune chapelle dans la nef. Ce qui rend ces églises belles, c’est que les parois ont pour enduit des carreaux assez larges, vernissés comme de la faïence, peints et embellis de fleurs et d’oiseaux, ce qui semble une très belle tapisserie. Il y a une paroisse sous le titre de saint Pierre (São Pedro), un couvent de cordeliers, dans l’église desquels il y a une chapelle sous le titre de saint Louis Roi de France, un monastère de religieuses de sainte Claire (Santa Clara), et une maison de jésuites, qu’on appelle en ce lieu des Pères Apôtres. Je n’y ai rien vu de remarquable, que deux ponts bâtis sur un torrent qui tombe de la montagne. Il y a fort peu de Portugais dans cette ville, ce sont les esclaves nègres qui y sont le plus grand nombre.

     Pour les mœurs, celles du peuple qui est dans la campagne sont bien différentes de celles des habitants qui sont dans la ville. Le peuple de la campagne est fort courtois et reçoit les étrangers avec affection. Ils leur présentent volontiers de leurs fruits, et les choses qu’ils peuvent avoir, se contentant du peu qu’on leur donne, ce que plusieurs des nôtres ont expérimenté, qui pendant notre séjour allaient se promener sur les montagnes.

     Ceux de la ville n’en usent pas de la sorte, car étant tous fainéants, ils ne songent qu’à mal faire. Le clergé tant régulier que séculier est peu adonné à la piété, ce qui provient de ce qu’étant sans évêque, ils n’ont personne qui les retienne dans leur devoir. Outre qu’il n’y a aucune piété, ils sont encore dans une profonde ignorance. Si tel est le clergé, quel doit être le peuple ? Il est, comme j’ai dit, extrêmement fainéant, s’appuyant sur les bras de leurs esclaves, qui travaillent pour eux. Les nobles tiennent une gravité véritablement espagnole, marchant tous avec de longs manteaux, une longue épée et une dague sur le côté, tenant un grand chapelet en leurs mains, qu’ils marmottent continuellement en allant par les rues. Les marchands et les bourgeois en font quasi de même. Tout leur trafic consiste en confitures, et surtout en écorce de citron, vivant la plupart du petit revenu de leur terre, qu’ils font labourer par leurs esclaves nègres. Ils recueillent quantité de vins, que les vaisseaux qui vont dans les Indes chargent d’ordinaire. Au reste, ils sont grands larrons, ils en font gloire. Ils ressemblent aux Bohèmes, car quoi qu’on fasse pour s’en garantir, ils ne laissent pas de vous attraper. Quand on leur présente quelque chose pour troquer, comme des couteaux, miroirs et choses semblables, on n’y retrouve jamais son compte. Ils fouillent dans les pochettes, ils coupent les bourses, ils prennent la nuit les chapeaux, et dépouillent un homme, s’ils le trouvent à leur avantage. Mais ils sont fort lâches et fort poltrons. Ils sont beaucoup adonnés au vice de la chair, aussi les lieux infâmes y sont fort communs. D’où je conclus qu’il vaut beaucoup mieux s’éloigner de cette ile que d’y aborder, pour le peu de profit qu’on peut en tirer, et pour le grand sujet des débauches qu’on y rencontre, les femmes y étant si effrontées, qu’elles attaquent hardiment un homme.

samedi 13 janvier 2024

Madère 1

Lettre documentaire 520

ESCALE A MADERE, par Antoine Biet

 

(Extrait du chapitre I-IX de son Voyage de la France équinoxiale en l’isle de Cayenne, entrepris par les François en l’année MDCLII, Paris, 1664, p 33-34. Les parenthèses sont de nous.)

 

Le soir de ce jour (24 juillet 1652) on passa les Désertes, qui sont trois petites ilettes, qui ne sont que des rochers infertiles à trois ou quatre lieues (à une douzaine de km au Sud-Est) de Madère. Cependant on ne put aborder cette ile ce jour, et même de trois jours, d’autant qu’elle est très difficile à aborder.

     Le dimanche 28 juillet on ne pensait être qu’à deux lieues de cette ile. Monsieur le Général fit mettre la chaloupe en mer et envoya son major vers le Gouverneur de cette ile pour le saluer de sa part et le prier qu’il permît que ses vaisseaux abordassent son ile, pour prendre de l’eau et des rafraichissements nécessaires, (et l’informer) que ces vaisseaux étaient français et allaient de la part du Roi établir une colonie dans l’Amérique, comme il pouvait voir par ses commissions. Le capitaine d’Alençon eut ordre de l’accompagner pour porter la commission. Les sieurs d’Asmanville, de Vertaumon et de Beson, et quelques volontaires, qui étaient tous bien mis, voulurent les accompagner pour faire honneur à la nation française, à cette première entrevue du Gouverneur. Ils partirent du bord de l’Amiral environ deux heures avant la fin du jour et n’arrivèrent à la ville que sur minuit, ayant trouvé un vent si fort et des marées si contraires, qu’à peine y purent-ils arriver. Ils mirent pied à terre sans trouver personne qui les empêchât. Ils entrèrent dans la ville en faisant assez de bruit, en cherchant quelque hôtellerie. Ils crient qu’on leur en enseigne, et personne ne paraît. Si cinquante hommes ennemis eussent été à leur place, ils auraient saccagé la ville avant que les soldats des forteresses s’en fussent aperçu. Enfin ils firent rencontre d’un soldat qui les mena dans un méchant cabaret, où ils ne trouvèrent que du pain, mais il se récompensèrent à boire, passant ainsi le reste de la nuit. (...)

     Cependant, les gardes de la forteresse s’étant aperçu qu’il était entré des Français dans la ville durant la nuit, cinq ou six soldats de la garnison, bien armés d’épées, de poignards, de pistolets et autres armes, furent commandés de venir en ce cabaret pour reconnaître ceux qui y étaient. Ils en donnèrent avis au Gouverneur de l’ile, qui les renvoya sur leurs pas pour les lui amener. Ils y vont tous, il les reçoit d’abord avec une gravité tout à fait espagnole, sans quasi les saluer. Monsieur le major porte la parole, lui présentant la commission qu’il prend des mains du capitaine d’Alençon. Mais comme il vit qu’il n’entendait pas le français, il lui parla en italien, croyant qu’il entendrait peut-être mieux cette langue, et ne s’expliquant pas à sa fantaisie, il envoya chercher le Consul des Français, qui est en cette ile, qui lui interpréta la commission et lui fit connaître le dessein des Français. Il parla à Monsieur de Vertaumon, lui témoignant la crainte qu’il avait qu’on ne fût ennemis, et qu’on eût quelque dessein sur cette ile, parce que, disait-il, on avait vu de l’autre côté de l’ile quatre ou cinq vaisseaux. Monsieur de Vertaumon l’assura entièrement du contraire. Alors il relâcha un peu de sa gravité, d’autant qu’il voyait bien qu’elle n’agréait pas aux Français. Il leur témoigna la joie qu’il avait de l’arrivée de nos vaisseaux en cette rade, à cause de l’alliance et de l’amitié qu’il y avait entre les deux Couronnes de France et de Portugal, à qui appartenait cette ile. Puis, adressant sa parole au major, il le pria d’assurer Monsieur le Général qu’il avait tout pouvoir en cette ile, qu’il pouvait y demeurer tant qu’il voudrait, et qu’il y prendrait tout ce qui lui serait nécessaire pour sa flotte, pouvant y aborder avec assurance.

 

(Cette Lettre documentaire est dédiée à Danielle Berton.)

vendredi 12 janvier 2024

Biet

    Il y a quelques années, j’ai eu connaissance du livre qu’Antoine Biet a publié en 1664, mais je ne l’ai lu en entier que ces derniers mois. On ne sait pas au juste quand naquit cet homme, dans le diocèse de Senlis, entre 1596 et 1620, ce qui est bien vague, mais on sait qu’il fut le curé de cette ville à partir de 1637. En 1652, il se joignit à une expédition menée par un certain sieur de Royville et destinée à établir une colonie française à Cayenne, sur la côte de l’actuelle Guyane. L’entreprise fut un échec. Des cinq ou six cents personnes arrivées sur place en septembre 1652, il ne restait au bout de quinze mois que cent trente survivants, qui plièrent bagage dans les derniers jours de 1653. Le père Biet était de retour en France en août 1654, après être passé par Surinam, la Barbade, la Martinique et la Guadeloupe. Dix ans plus tard, en 1664, il publia donc à Paris un compte rendu de cette expérience, dans un épais volume intitulé Voyage de la France équinoxiale en l’isle de Cayenne, entrepris par les François en l’année MDCLII.
    L’ouvrage est composé de trois «livres», soit trois parties, deux narratives et une descriptive. La première raconte en dix-sept chapitres l’élaboration du projet, les préparatifs et le voyage d’aller, la deuxième en trente-cinq chapitres le séjour sur place et le retour. La troisième partie décrit en dix-sept chapitres la nature du pays et surtout les mœurs des Indiens Galibis. Les trois derniers chapitres de la troisième partie portent plus précisément sur le langage de ces Indiens, appartenant à la famille des langues caribes (galibi = caribe).
    C’est d’abord le tout dernier de ces chapitres qui a attiré mon attention vers ce livre. Il s’agit d’un petit dictionnaire français-galibi, présentant sur une trentaine de pages un peu plus de quatre cents mots. Ce précieux instrument n’est pas sans défauts. Notamment il y règne un léger désordre, du fait que l’auteur, s’il a bien regroupé les mots selon leur initiale (tous les mots commençant par A, puis par B, etc), n’a pas toujours fait l’effort de les disposer dans l’ordre alphabétique exact, négligence qui l’amène parfois à répéter par erreur certaines entrées, à quelque distance l’une de l’autre, avec une rédaction différente (il y a ainsi deux entrées pour Acheter, deux pour Autrefois, etc). Par ailleurs, on a remarqué que ce vocabulaire empruntait largement à celui qu’avait publié dix ans plus tôt un certain Paul Boyer, lui aussi à la fin d’un récit de voyage en Guyane. Mais le dictionnaire de Biet présente l’avantage d’être enrichi d’exemples, grâce auxquels il est une source non seulement de connaissance mais aussi de joie, car il est rédigé avec le franc-parler de l’époque, et l’auteur choisit parfois comme phrases d’exemple des énoncés que l’on imaginerait mal dans les traités d’ethnolinguistique d’aujourd’hui : voir entre autres à l’entrée Cul («Je te fouetterai le cul, tu es méchant»), à l’entrée Pet («Tu es vilain, tu pètes, cela pue beaucoup») ou à l’entrée finale, Yvre («Les Indiens s'enyvrent comme des cochons»).
    Mais là n’est pas le seul attrait de ce bon livre, riche en informations de toute sorte et captivant comme un roman d’aventures. L’entreprise s’annonçait laborieuse et commença mal. Comme les troubles de la Fronde rendaient la campagne dangereuse, il fut décidé d’aller de Paris au Havre à bord de navires fluviaux. Or dès le premier soir, à Paris, le supérieur des quelques religieux du voyage, voulant passer d’un bateau à l’autre, tomba dans la Seine et s’y noya (ch I-5). (Il est intéressant de suivre l’itinéraire, passant par des lieux qui ont dû bien changer depuis : Saint-Cloud, Saint-Denis, Saint-Germain en Laye, Mantes, Les Andelys etc, p 13-17). Le père Biet, qui voit partout des messages divins, tiendra aussi pour mauvais signe la «comette ... affreuse, de couleur de Saturne» qui apparaitra dans le ciel pendant quelques nuits à la mi-novembre 1652 (p 96 & 111. Il peut s’agir de la comète non périodique enregistrée sous la référence C/1652 Y1). 
    Il semble que l’échec de l’expédition soit dû à trois facteurs principaux. D’une part, on avait recruté inconsidérément trop de soldats et «trop d’officiers inutiles qui n’eussent pas voulu seulement remuer une pelletée de terre» (p 7), et parmi les colons trop peu de gens compétents : quelques artisans (maçons, scieurs, charpentiers) mais surtout un ramassis d’«enfants incorrigibles» dont les familles se débarrassaient, de «gens qui avaient fait faillite», de «jeunes débauchés», y compris quelques putes, et dans tout ce monde pas «cinquante (personnes) capables de supporter la moindre fatigue» (p 8). D’autre part, on avait emporté trop peu de réserves de vivres, si bien qu’une fois sur place, dans un pays où régnait pourtant «un perpétuel été» (p 332), on dût bientôt affronter la disette et les maladies, et beaucoup se retrouvèrent à l’état de «squelettes vivants» (p 250). Enfin les rivalités entre les seigneurs associés et entre les capitaines n’ont rien arrangé. Déjà en cours de route le sieur de Royville en personne fut assassiné et son corps jeté par-dessus bord en pleine mer, avant même l’arrivée en Amérique (ch I-13). Un sommet dans les hostilités entre dirigeants sera atteint durant le séjour en Guyane, quand on démasquera le complot du sieur Isambert, qui voulait supprimer des rivaux. Il y a des pages terribles, où l’accusé s’avoue coupable, est condamné à mort, se roule en sanglots aux pieds de ses juges. On charge de lui couper la tête un esclave noir qui n’est équipé que d’une «serpe», c’est à dire d’une machette, impropre à cet usage, et le bourreau doit s’y reprendre (ch II-5).
    On peut aujourd’hui s’amuser, ou du moins s’étonner des avis que l’auteur émet parfois sans ménagement sur les étrangers, dans un ouvrage écrit à l’époque où les races n’étaient pas en sucre et où l’on pouvait formuler des critiques sans être aussitôt accusé de génocide. Ainsi à l’aller, lors du passage à Madère, Biet fait des observations peu flatteuses sur la malhonnêteté des citadins, qu’il oppose à la courtoisie des ruraux (ch I-10 & I-11). De même, lors du voyage de retour, il reproche aux commerçants juifs de Saint-Pierre de la Martinique d’abuser de leur influence en imposant le respect du sabbat, alors que le samedi était le jour traditionnel de marché pour tous les producteurs de l’île. Il se fend à cette occasion de généralisations acerbes sur le peuple christicide, qui de nos jours lui vaudraient assurément le pilori (p 303).
    Sur les Indiens, Biet a des avis nuancés. Il est à noter que les faits se déroulent dans ce que Lévi-Strauss a nommé la «période conradienne» : si les civilisations urbaines du Mexique et du Pérou ont été rapidement assujetties par les Espagnols, ailleurs le rapport de force entre Amérindiens et Européens est longtemps resté indécis, et souvent défavorable à ces derniers. Les Indiens ne sont pas idiots, ils «savent fort bien remarquer le faible de chacun» (95). Ils trafiquent volontiers, mais sont aussi capables de fourberie et de brutalité, ce en quoi l’auteur ne cache pas que les Français n’avaient guère de leçons à donner. Il y a une scène intéressante, où des Indiens viennent visiter un campement de Français sous quelque prétexte, en fait pour évaluer le nombre d’hommes et leur armement, afin du juger si une attaque est possible : «L’on remarquait visiblement sur leur visage, qu’ils ne venaient pas avec la même franchise et liberté qu’à l’ordinaire. Je remarquai même qu’ils ne pouvaient nous regarder en face» (160). Biet admire la parure des Galibis, leurs «ornements merveilleux à voir» (365), surtout les peintures corporelles et les plumes des hommes «les mieux ajustés selon leur mode» (78, et il les voit encore p 382 «bien ajustés de tous leurs plus beaux ornements»). Quant aux enfants, «c’est une merveille de voir comme ils profitent» et comment leurs parents les «aiment extrêmement» (390). Biet nous apprend que ces Indiens vivant près de la mer ne sont «pas trop carnassiers», préférant au gibier le poisson et les crabes (339). Il parle de leurs «trousses de flèches» (167). Il désigne leurs grandes huttes comme des «halles» (354) ainsi que l’avait déjà fait Jean Mocquet dans son récit de voyage de 1604, que Biet dit avoir lu (362, 371).
    Je terminerai ces notes en citant quelques tournures qui m’ont plu :
- p 125 & 144 : on avait exilé deux ou trois conspirateurs quelque temps sur une île, où l’on redoutait qu’ils ne meurent de faim, mais on les retrouve «gras et en bon point».
- p 177 : le sieur du Plessis «n’a pas manqué d’ennemis à cause de sa façon d’agir un peu rustique», et p 326 «la rusticité de certains gros matelots flamands» à qui la tempête ne coupe pas l’appétit.
- p 224 : cette phrase au parfum d’aventure : «il avait remarqué les pieds des Sauvages imprimés sur le sable».
- p 230 : cette sentence à méditer : «la vérité engendre la haine».
- p 263 : repartant de Cayenne, les survivants font d’abord escale à Surinam, où le commandant de la place les assure de sa charité, déclarant «que s’il pouvait, il nous mettrait entre sa chair et sa chemise».
- p 274 : à la Barbade, colonie anglaise, on conseille à certains de «quitter la ville» pour se retirer «dans la contrée, comme ils parlent en ce lieu» : n’est-ce pas tout simplement le mot country ?
- p 283 : à la Barbade encore, Biet retrouve un compatriote, maintenant «fort basané, comme c’est l’ordinaire de ceux qui voyagent».
- p 332 : en Guyane le climat est si humide que «les couteaux ... s’enrouillent dans la pochette».
    Ce bon livre recèle encore mille charmes, que je laisse au curieux le soin de découvrir. Il manque aujourd’hui encore une bonne réédition, c’est à dire complète et modernisée, qui permettrait de le lire confortablement. Voici quelles sont les ressources :
- l’édition originale a été numérisée et mise en ligne sur le site de la John Carter Brown Library aux USA et sur celui de la BnF (Gallica), laquelle propose depuis 2017, en partenariat avec Hachette, un fac-similé de l’œuvre originale en impression sur demande.
- En 1896, Aristide Marre a revu et publié, sous le titre Les Galibis, tableau véritable de leurs mœurs, avec un vocabulaire de leur langue, la troisième partie du livre, sans numérotation des chapitres, et en omettant les chapitres III-9 et III-15 (Extraits de la Revue de linguistique de juillet et octobre, repris en un volume à Paris chez Maisonneuve).
- En 2011, Jack Le Roux a repris sous le titre original, aux Editions du Valhermeil (Colombelles) la partie guyanaise du livre (
chapitres I-15 à II-30 et III-1 à III-14) en maintenant l’orthographe d’époque (sauf f/s, i/j, u/v, z/s), excluant donc les chapitres I-1 à I-14 (voyage d’aller) et II-31 à II-35 (voyage de retour), ainsi que les trois chapitres finaux (linguistique).
- En 2018, Jean-Marc Popineau a publié une excellente étude, «Les "Avantures toutes étranges et tout à fait tragiques" de Antoine Biet, Un missionnaire senlisien sous la Fronde dans la France équinoxiale en l’isle de Cayenne», in Comptes-rendus et mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Senlis 2014-2015, Senlis, 2018.
- En 2021, chez Hermann (Paris) dans l’ouvrage collectif La colonisation de la Guyane (1626-1696), dirigé par M van der Bel et G Collomb, sont reproduits : dans le volume I la partie guyanaise du Voyage, (chapitres I-15 à II-30 et III-1 à III-15), texte modernisé et annoté par J-M Popineau ; dans le volume II le chapitre III-16 et le Petit dictionnaire, annotés par O Lescure.
    Les chapitres touchant les préparatifs en France, le voyage d'aller en Amérique et le voyage de retour, n'ont jamais été réédités. Je publierai prochainement, dans deux Lettres documentaires, des extraits portant sur l'île de Madère.

jeudi 11 janvier 2024

mercredi 10 janvier 2024

Raoul

    Un des rares points sur lesquels, tout compte fait, je reste d’accord avec Guy Debord, est son opinion sur Raoul Vaneigem, dont il disait que «tout ce qu’il écrit est nul». Vaneigem me fait la même impression chaque fois que j’entrouvre un de ses livres. Dernièrement en tombant sur ce récent chef d’œuvre, dans une boite à livres : Appel à la vie, contre la tyrannie étatique et marchande (Libertalia, 2019). A ce que j’en ai aperçu, c’est encore un long chapelet de jérémiades et de billevesées marxistoïdes. Raoul s’y connaît un peu en préhistoire : il nous explique que jadis l’humanité a vécu dans un état paradisiaque mais presque, avant que des salauds n’inventent le vilain capitalisme patriarcal, qu’est très méchant. Un pic de jobardise semble atteint à la page 66, où l’on propose d’«instaurer, au-delà du virilisme et du féminisme, la prééminence acratique de la femme». C’est que les hommes et les femmes ont beau être égaux, ces dames sont en quelque sorte d’une égalité un brin supérieure, si vous voyez...

mardi 9 janvier 2024

café

    Mine de rien j’ai beaucoup moins honte de préférer le café soluble au «vrai» café, depuis que je lui ai découvert une dignité littéraire : à ce qu’on dit, le café lyophilisé a été inventé par Alphonse Allais (en 1881).

lundi 8 janvier 2024

dimanche 7 janvier 2024

incendies

    L’état de la sécurité publique dans le pays est rendu au point où il faut mobiliser une armée de plus de 90.000 policiers et gendarmes pour obtenir ce résultat mirobolant : il n’y a eu «que» 745 voitures incendiées pendant la nuit du réveillon. Une paille. J’ai parcouru la presse à la recherche d’interviews des 745 propriétaires de voitures incendiées, mais en vain : il apparait qu’aucun journaliste n’a eu l’idée d’une telle enquête.

samedi 6 janvier 2024

culte

    Le simple constat que le destin naturel de tous les herbivores soit de finir tôt ou tard dévorés par les carnivores, devrait suffire à faire douter du culte de la Mère-Nature belle et bonne et parfaite.

vendredi 5 janvier 2024

cadres

    Ces tableaux, ces cadres sur nos murs, certains sont des fenêtres ouvertes, d’autres ne sont que des miroirs.

lundi 1 janvier 2024