samedi 13 janvier 2024

Madère 1

Lettre documentaire 520

ESCALE A MADERE, par Antoine Biet

 

(Extrait du chapitre I-IX de son Voyage de la France équinoxiale en l’isle de Cayenne, entrepris par les François en l’année MDCLII, Paris, 1664, p 33-34. Les parenthèses sont de nous.)

 

Le soir de ce jour (24 juillet 1652) on passa les Désertes, qui sont trois petites ilettes, qui ne sont que des rochers infertiles à trois ou quatre lieues (à une douzaine de km au Sud-Est) de Madère. Cependant on ne put aborder cette ile ce jour, et même de trois jours, d’autant qu’elle est très difficile à aborder.

     Le dimanche 28 juillet on ne pensait être qu’à deux lieues de cette ile. Monsieur le Général fit mettre la chaloupe en mer et envoya son major vers le Gouverneur de cette ile pour le saluer de sa part et le prier qu’il permît que ses vaisseaux abordassent son ile, pour prendre de l’eau et des rafraichissements nécessaires, (et l’informer) que ces vaisseaux étaient français et allaient de la part du Roi établir une colonie dans l’Amérique, comme il pouvait voir par ses commissions. Le capitaine d’Alençon eut ordre de l’accompagner pour porter la commission. Les sieurs d’Asmanville, de Vertaumon et de Beson, et quelques volontaires, qui étaient tous bien mis, voulurent les accompagner pour faire honneur à la nation française, à cette première entrevue du Gouverneur. Ils partirent du bord de l’Amiral environ deux heures avant la fin du jour et n’arrivèrent à la ville que sur minuit, ayant trouvé un vent si fort et des marées si contraires, qu’à peine y purent-ils arriver. Ils mirent pied à terre sans trouver personne qui les empêchât. Ils entrèrent dans la ville en faisant assez de bruit, en cherchant quelque hôtellerie. Ils crient qu’on leur en enseigne, et personne ne paraît. Si cinquante hommes ennemis eussent été à leur place, ils auraient saccagé la ville avant que les soldats des forteresses s’en fussent aperçu. Enfin ils firent rencontre d’un soldat qui les mena dans un méchant cabaret, où ils ne trouvèrent que du pain, mais il se récompensèrent à boire, passant ainsi le reste de la nuit. (...)

     Cependant, les gardes de la forteresse s’étant aperçu qu’il était entré des Français dans la ville durant la nuit, cinq ou six soldats de la garnison, bien armés d’épées, de poignards, de pistolets et autres armes, furent commandés de venir en ce cabaret pour reconnaître ceux qui y étaient. Ils en donnèrent avis au Gouverneur de l’ile, qui les renvoya sur leurs pas pour les lui amener. Ils y vont tous, il les reçoit d’abord avec une gravité tout à fait espagnole, sans quasi les saluer. Monsieur le major porte la parole, lui présentant la commission qu’il prend des mains du capitaine d’Alençon. Mais comme il vit qu’il n’entendait pas le français, il lui parla en italien, croyant qu’il entendrait peut-être mieux cette langue, et ne s’expliquant pas à sa fantaisie, il envoya chercher le Consul des Français, qui est en cette ile, qui lui interpréta la commission et lui fit connaître le dessein des Français. Il parla à Monsieur de Vertaumon, lui témoignant la crainte qu’il avait qu’on ne fût ennemis, et qu’on eût quelque dessein sur cette ile, parce que, disait-il, on avait vu de l’autre côté de l’ile quatre ou cinq vaisseaux. Monsieur de Vertaumon l’assura entièrement du contraire. Alors il relâcha un peu de sa gravité, d’autant qu’il voyait bien qu’elle n’agréait pas aux Français. Il leur témoigna la joie qu’il avait de l’arrivée de nos vaisseaux en cette rade, à cause de l’alliance et de l’amitié qu’il y avait entre les deux Couronnes de France et de Portugal, à qui appartenait cette ile. Puis, adressant sa parole au major, il le pria d’assurer Monsieur le Général qu’il avait tout pouvoir en cette ile, qu’il pouvait y demeurer tant qu’il voudrait, et qu’il y prendrait tout ce qui lui serait nécessaire pour sa flotte, pouvant y aborder avec assurance.

 

(Cette Lettre documentaire est dédiée à Danielle Berton.)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire