mardi 23 janvier 2024

Jouhandeau

    Dans le temps j’avais lu et aimé le volume XXV des Journaliers de Marcel Jouhandeau (Jd, 17 XII 2012) et de même je n’ai pas été déçu par le volume XXVIII, trouvé l'autre jour dans une boite. Ce volume paru en 1982 est je crois le dernier des Journaliers. Il porte sur la période de fin 1973 à fin 1974 et s’intitule Dans l’épouvante le sourire aux lèvres. Cette formule semble traduire l’état d’esprit de l’octogénaire à la fois serein (pas mécontent de lui, et émerveillé par le petit-fils adoptif qu’il élève comme un père) mais angoissé par la mort qu’il sent proche (il lui reste en fait cinq ans à vivre). Le livre est divisé en trois parties dont on ne sait trop à quoi elles correspondent. J’ai remarqué que dans les deux premières l’auteur se félicite d’avoir renoncé à la sexualité (pour lui l’homosexualité) mais dans la troisième il cède de nouveau plusieurs fois à la tentation (étonnante verdeur d’un homme de 87 ans). Il précise que s’il a «aimé les garçons», il a toujours respecté les enfants («La pédérastie m’est odieuse») à la différence d’un Gide (pages 51-52). Il y a quelques sujets qu’il ressasse (Dieu, l’âge, le sexe, son petit-fils) mais il sait aussi parler de tout et de rien, de façon plus ou moins laconique, et ce coq-à-l’ânisme est fait pour me plaire. J’ai recopié sur une feuille à mon usage une petite vingtaine de phrases afin de pouvoir les relire, au cas où je viendrais à me défaire de ce livre. J’en citerai ici seulement quelques unes. Il en est de graves, à propos de l’âge : «A mesure qu’on vieillit, on devient plus ou moins ridicule d’aspect, aussi convient-il par respect pour soi d’éviter de se montrer» (p 22) ... «Je ne veux plus permettre qu’on photographie les débris de mon visage ni de mon corps» (57) ... «Parfois j’interromps une des phrases que j’écris, pour me demander : - Que fais-tu là ? - Rien que balbutier encore quelques mots, en attendant la mort» (93). Il en est au contraire qui m’amusent par leur frivolité : «J’imagine, en pouffant, un pet de Caton, de Pompée ou de César» (20) ... «Guise était cocu et l’ignorait. Bautru l’était aussi et le savait. Ils déjeunaient ensemble en face l’un de l’autre. Guise : Qu’y a-t-il entre deux cocus ? Bautru : Une table» (36). Il mentionne au moins deux cas de méchanceté féminine, qui ne figureront jamais dans aucune féministologie : le souvenir de sa propre femme lui crachant au visage à table, devant témoins (70), et sa réponse cinglante à la veuve d’un ami récemment décédé, précisant au lecteur qu’ «Elle l’a rendu malheureux tout le temps qu’elle a passé avec lui» (86). Il esquisse quelques portraits, avouant sa «profonde antipathie» pour le poète Georges Hugnet, qui «battait sa mère» (124-125), évoquant ailleurs «notre ami» Roger Karl, l’acteur qui écrivait sous le pseudonyme de Michel Balfort, dont j’ai beaucoup aimé les pensées (Ld 448). Il a parfois des aphorismes bien vus, tel celui-ci, «L’appétit à table est aussi fragile, susceptible qu’en amour. Un rien l’excite, un rien l’abolit» (92), ou cet autre, «Chaque tribu a son fumet, son odeur. Les plus distinguées n’en ont pas» (196). Un bon livre, en somme.

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