mercredi 26 novembre 2025

Santon

    Pour me renseigner sur la vie à Saint-Jean d’Angély au moment de l’exode de juin 1940, j’ai lu les premiers chapitres de deux petits livres jumeaux signés Noël Santon, parus en 2013 aux éditions de L’Angérien Libre. L’un d’eux (I), Des heures qu’on n’oublie pas : Les temps étranges (mai-octobre 1940), semble être un recueil de notes prises sur le moment, peut-être restées inédites jusqu’alors. L’autre (II), Saint-Jean sous la botte, portant sur toute la période de l’Occupation, est la réédition d’un ouvrage de 1947, dans lequel sont remployées par endroits les notes du premier. L’auteur, en fait une femme, de son vrai nom Noëla Le Guiastrennec, était né en 1900 à Saint-Julien de l’Escap, banlieue orientale de Saint-Jean d’Angély. Ecrivaine, éditrice et graveuse, elle vécut principalement dans la ville de Saint-Jean, dont elle fut la bibliothécaire de 1953 à sa mort accidentelle en 1958. Du genre garçonne, elle écrivit une cinquantaine de livres, surtout des romans, sous divers pseudonymes, presque tous masculins, dont Noël Santon fut le principal. Dans les années 30, elle publia la revue littéraire Corymbe et anima une maison d’édition du même nom. Au moment où éclate la deuxième guerre, Noël avait un «travail militaire» (I, 3) dans les bureaux semble-t-il, au camp d’aviation de Fontenet (I, 10, II, 8 et passim) à quelques kilomètres au sud-est de Saint-Jean. Elle est patriote et exprime en termes lyriques son attachement charnel et spirituel à «tout cet ensemble de passé, de présent et d’avenir, d’âme et de chair, qui constitue la patrie» (I, 4) … «Notre corps, qui retourne à la terre, n’est-il pas lui-même un morceau du pays ? Notre corps qui est ce sol, ces arbres, ces champs, ces villes, comme notre âme est ce ciel, cet air enivrant, cette admirable lumière de France ? … l’âme loyale de l’histoire de France…» (I, 6-7). Aussi l’annonce de la défaite de l’armée française en mai-juin 40 est-elle un choc qui la plonge dans le désarroi : «On se sent innombrablement seul sous le poids de la gigantesque douleur collective» (I, 10) malgré le beau temps, les «journées étincelantes de soleil» (II, 7). Puis arrive le flux chaotique de l’exode, les gens fuyant le nord. Noëla s’y trouve confrontée dans les embouteillages, lors des deux allers et retours qu’elle fait chaque jour en bus entre Saint-Jean et l’aéroport. Elle décrit aussi la présence en ville des arrivants, la ruée sur les magasins et les hôtels, les endroits où dormir. Je pense à mes grands-parents petits commerçants, étaient-ils déjà installés dans cette ville ? Ils auraient des souvenirs à raconter sur le sujet. Je m’amuse de ce remaniement dans le texte de Noël : elle écrit d’abord que certains réfugiés échouent «sur les bancs d’un square, sous les arbres d’une avenue» (I, 17), puis «sous les arbres d’un square, sur les bancs d’une avenue» (II, 5). Elle évoque la présence de certains écrivains, comme Maxence van der Meersch et Sacha Guitry (I, 15, II, 20-21) mais ne parle pas de Céline, qui passa par là un peu plus tard.

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