samedi 25 janvier 2025

lectures

(Réédition : texte des trois notes que j'ai lues hier soir à Doeuil)

         Mercredi 18 septembre 2013. Dans l'apparte que je sous-loue, j'ai découvert un petit livre qui a fait ma joie quelques jours, et chaque jour un peu plus à mesure que j'approchais d'en finir la lecture. C'est l'Histoire amoureuse des Gaules, écrite en 1662 par Roger de Rabutin, comte de Bussy, appelé d'ordinaire Bussy-Rabutin. Cet écrivain pas très connu, qui brille par son absence dans le Lagarde et Michard, était un cousin de madame de Sévigné, et un officier. Dans cet ouvrage écrit pour divertir ses ami(e)s, il relate en réalité les histoires de cul et de coeur de quelques personnages de son temps, dont les noms étaient à l'origine travestis, malgré quoi, le manuscrit ayant circulé plus que prévu, et plusieurs intéressés s'en étant plaints, le livre a valu à l'auteur des ennuis sans fin. Les histoires s'enchaînent d'un personnage à l'autre, avec parfois un peu de complication, dont on est dédommagé par les grâces du style. J'ai souri en lisant cette phrase, que l'on n'écrirait aujourd'hui sous aucun prétexte : «Ces diables seraient bien mieux dans leur pays qu'ici» (il s'agit de Normands, page 48 dans l'édition Garnier-Flammarion). Une relation surprenante, racontée sans ostentation ni condamnation, est celle du couple gay, comme on ne disait pas encore, formé par le comte de Guiche et son amant Manicamp, qui «s'aimaient fortement comme s'ils eussent été de différent sexe» (60). Il y a notamment cette scène dramatique où de Guiche, étant parvenu à séduire une dame et se retrouvant dans son lit, se découvre impuissant à la servir. «Il faut se connaître, confie-t-il ensuite à un ami, et savoir à quoi on est propre ; pour moi je vois bien que ce n'est pas mon fait que les dames» (85 sq). Je remarque ces traits appuyés, dans les portraits de deux femmes, ici une «princesse, qui était malpropre et qui sentait mauvais» (106), là au contraire une dame «propre au dernier point, et l'air qu'elle souffle est plus pur que celui qu'elle respire» (158). J'admire un portrait contrasté comme celui-ci, où le positif et le négatif se chamaillent : «Condé avait les yeux vifs, le nez aquilin et serré, les joues creuses et décharnées, la forme du visage longue, la physionomie d'un aigle, les cheveux frisés, les dents mal rangées et malpropres, l'air négligé, et peu de soin de sa personne, la taille belle. Il avait du feu dans l'esprit, mais il ne l'avait pas juste. Il riait beaucoup et fort désagréablement, il avait le génie admirable pour la guerre, et particulièrement pour les batailles. Le jour du combat il était doux aux amis, fier aux ennemis. Il avait une netteté d'esprit, une force de jugement et une facilité sans égale. Il était né fourbe, mais il avait de la foi et de la probité aux grandes occasions. Il était né insolent et sans égard, mais l'adversité lui avait appris à vivre» (107). Je m'amuse de l'usage, qu'ils avaient tous et toutes à l'époque, de posséder une «cassette» où ranger leurs lettres et leurs bijoux (131, par exemple). J'aime des remarques psychologiques comme celle-ci : «Avec tant de feu, il n'est pas étrange que le discernement soit médiocre : ces deux choses étant d'ordinaire incompatibles, la nature ne peut faire de miracle...» (146) ou celle-là : «Celui-ci néanmoins a quelque faux brillant qui peut éblouir d'abord les étourdis, mais qui ne trompe pas les gens qui font des réflexions» (159). Je retiens aussi la vision enchantée de cette fête nocturne donnée dans un bois, où d'aucuns «se promenaient avec leurs maîtresses dans les allées où l'on se touchait sans se voir» (167). J'ai beaucoup aimé lire ce petit livre charmant. J'étais si déçu d'en avoir fini, que j'ai encore lu tout l'appareil critique sans en perdre une miette.

         Vendredi 28 novembre 2008. Il y avait un Victor excellent poète, il y avait aussi un Hugo les Gros-Sabots, c’est ce dernier qui a pondu les cent pages d’emmerdement ridicule que compte Le dernier jour d’un condamné. L’ouvrage est parvenu à moi précédé de sa grosse réputation, c’est donc sans grande surprise que j’en ai pris connaissance (en Folio). Ce petit livre lugubre est non seulement d’un ennui mortel, mais d’une mauvaise foi grotesque. Le protagoniste passe son temps à se lamenter sur son triste sort, sans avoir l’honnêteté d’indiquer clairement ce pour quoi il a été jugé, sans exprimer non plus un seul regret vis-à-vis de la personne qu’il a vraisemblablement estourbie. Avec une impudeur de cochon, il essaie de nous avoir aux sentiments, nous expliquant que sa petite fille va être bien malheureuse de se retrouver orpheline etc. Avec moi ça ne marche pas, je trouve ses raisonnements foireux, j’ai bien l’impression de lire Le dernier jour d’un con tout court, et qui n’éveille nullement ma pitié, pourtant Dieu sait si j’ai bon coeur. Dans une préface de 1832, l’auteur présentait cette bouse comme une «plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents et à venir», ouvrant en effet la voie à l’humanisme fanatique moderne, dont l’idéal est de prendre systématiquement la défense des criminels, en se souciant fort peu des victimes.

         Vendredi 8 avril 2016. Autant qu’il m’en souvienne, je n’avais jamais connu que de titre l’histoire de La belle au bois dormant. Je l’ai découverte l’autre jour dans la version des frères Grimm, qui tient sur deux pages et demie. Je dois avoir exactement l’âge mental qui convient, car vraiment je poussais des oh et des ah en lisant ce conte sublime, où tout me ravissait : la malédiction contredite, les interventions féeriques, la dormition des personnages, les buissons qui s’écartent et se referment au passage du jeune chevalier, le happy end… Là-dessus mon garde du corps, à qui je faisais part de ma vive émotion, m’a lu la version de Perrault, quelque peu différente et plus longue, qui était en sa possession. C’était un bon moment. En y réfléchissant, je me dis que j’aurais sans doute aimé le métier de prince charmant. Si c’était à refaire…

2 commentaires:

  1. « Le dernier jour d’un condamné » est la bible du Syndicat de la Magistrature. « Le mur des cons » est son évangile.

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