dimanche 31 octobre 2021

Arithmomania

Ces jours-ci j’ai pris connaissance de l’Arithmomania de l’ami Lucien Suel, parue cet été. Le titre se réfère à la notion d’arithmomanie, le «besoin obsédant de compter». C’est un copieux recueil (plus de 200 pages) de poèmes basés sur une contrainte numérique. Ils sont de deux types. D’une part ceux composés de vers ou de versets arithmogrammatiques, comportant un nombre déterminé de lettres et de signes typographiques. D’autre part ceux composés de vers ou de versets arithmonymes, comprenant un nombre déterminé de mots. En considérant ce que j’ai noté en cours de lecture, je vois bien que j’ai été sensible surtout aux poèmes de la première catégorie, les arithmogrammes. Ils se présentent souvent comme des pavés impeccablement rectangulaires, ainsi le bel Escourgeon (12 vers de 37 caractères, «La neige fond silencieusement dans la…»), l’exalté Tout partout (82 vers de 37 caractères, «tout autour de l’autocar c’est la vie / tout partout autour ici et maintenant / ailleurs et toujours c’est tout plein / de tout tout le temps et tout partout…») ou encore le très céleste Le ciel (5 strophes de 3 vers de 37 caractères). Ils peuvent également prendre la forme de calligrammes (par exemple les strophes en sablier du Spicilège septique) ou l’allure plus prosaïque d’une suite de tweets (tweets de 140 caractères dans Forêt, de 280 dans Ypres). Ces poèmes recèlent çà et là des friandises à mon goût : néomots (virturéel, rapalmipèdes, dans Nuages) ou énumérations (noms de rivières dans D’une rive à l’autre : «rivières don dniestr / inini seine inénisséï…»). Je signalerai aussi des trouvailles thématiques comme Apocalypse 13 : 11-18 (un passage de l’Apocalypse remanié en vers de 37 caractères) ou Saint Sébastien MMXV (hommage en vers de 10 et 9 caractères à un martyr de l’islamisme, égorgé dans le désert). Je citerai enfin le cas notable de Médor, à la fois arithmogramme et arithmonyme (5 strophes de 5 vers de 5 mots de 5 lettres). Dans les meilleurs de ces poèmes, il apparaît clairement que leur création ne se ramène pas à la recette mathématique, il y faut aussi toute l'inspiration dont Lucien a le secret.

Photo Ph Billé, à la Ferme de Taussat les Bains.

4 commentaires:

  1. Merci Philippe pour cette lecture calibrée d'Arithmomania, et la photo "Après l'effort, le réconfort"

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  2. Ce recueil a l'air passionnant ! Je ne connaissais pour le moment que les vers arithmogrammatiques de l'oulipien Ian Monk.
    J'imagine qu'il faut avoir recours à du papier quadrillé, en consacrant un caractère par carreau, pour composer ce genre de vers ? L'écriture doit alors ressembler à un formulaire à remplir pour l'administration du type : une lettre par case.
    En tout cas, cette géométrie, ça flatte l'œil !

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  3. Cher Siméon Lerouge, merci pour ce commentaire. Vous n’étiez pas loin de mon travail puisque l’oulipien Ian Monk est un ami et c’est moi qui l’ai initié à la contrainte du comptage des signes typographiques. Votre remarque sur le papier quadrillé est judicieuse. J’utilisais effectivement ce procédé dans les ateliers d’écriture quand les participants n’avaient pas encore d’ordinateur. Mais pour éviter ce travail qui nécessite de plus l’usage régulier d’une gomme, je travaille directement avec un logiciel d’écriture. Pour que cela fonctionne bien, il faut choisir une police de caractère à espacement fixe, type courier new. Comme aide à la création, il est bon d’avoir sous la main un dictionnaire des mots croisés dans lequel les mots sont rangés selon leur nombre de lettres. A vous de jouer !

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  4. Merci pour votre aimable réponse que je découvre tardivement. Je note précieusement votre conseil et vous souhaite une excellente année 2022 !

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