Le blog littéraire et agricole de Philippe Billé. Des notes de lecture, et des notes du reste.
mardi 5 août 2025
rencontres
A mon compte-rendu commercial d’hier, j’ajouterai cette note pour évoquer quelques rencontres. Il y eut par exemple ce couple âgé, elle cassée en deux, me racontant que lorsqu’ils arrivèrent là où ils vivent, il n’y avait qu’un arbre aux alentours de la maison, mais son mari en a si bien planté qu’il y en a maintenant peut-être mille. Il y eut ce gentilhomme avec qui j’ai négocié et finalement conclu ma meilleure vente. C’était manifestement un connaisseur et un esthète, au surplus un type vraiment charmant, genre Georges Clooney mais avec le regard intelligent. J’aurais dû essayer de le capturer au lieu de le laisser repartir. Il y eut surtout Roland, avec qui j’ai causé plus d’une heure. Je le revois depuis des années dans les vide-greniers, où il m’achète tous les livres sur les arbres, quand j’en ai, il doit en posséder une belle collection. C’est un bon connaisseur de la question et le seul avec qui j’ai de rares occasions d’en parler. La fois où on a fait connaissance, il m’a raconté qu’il avait fait pousser de graine des féviers d’Amérique, soit des Gleditsia triacanthos, ces sortes d’acacias aux épines longues comme le doigt, et qu’il en avait planté toute une haie. Ce curieux rural, plus ou moins de mon âge, vous parle en français normal, et l’on comprend au cours de la conversation qu’il connait non seulement le nom usuel mais aussi le nom latin des arbres et leur classement par familles, mais si l’un de ses voisins vient à le saluer en passant, il lui parle à leur façon : I charriais dau bois, c’est à dire Je transportais du bois, répond-il à quelqu’un disant l’avoir aperçu la veille. Ce dimanche je lui ai raconté entre autres ma mésaventure de l’année dernière, quand j’ai tenté en vain de signaler un houx de taille exceptionnelle à l’association s’occupant d’arbres remarquables (voir au 27 XII 24). A un moment un couple s’est arrêté et lui a demandé comment il allait. Mieux, répondit-il, et comme le propos intriguait, il expliqua qu’on lui avait diagnostiqué l’an dernier un cancer des os. Il entre dans les détails, ses douleurs au dos, les pompiers refusant de le transporter, lui-même payant un taxi pour l’emmener à Niort, son hospitalisation, l’identification et le traitement chimique de la maladie, les piqures dans le ventre, désagréables mais supportables, puis une si douloureuse qu’il s’est évanoui, après quoi, soupçonnant qu’il avait servi de cobaye pour un test, il avait décidé d’arrêter les soins et demandé à rentrer chez lui, où il vit seul. On suppose qu’il a reçu de l’aide à domicile, mais non, dit-il, il a tout refusé. Et voilà qu’il se met à pleurer au souvenir du très pénible hiver qu’il a passé, réapprenant seul peu à peu à marcher, peinant à soulever une simple casserole. Consternation de nous trois. Quelle histoire, en effet. Moi-même, la racontant à mon coach au téléphone le lendemain, j’en avais encore la gorge serrée. Mais enfin pour l’instant l’homme ne souffre plus et semble aller assez bien, s’il se promène sur les marchés. Une fois le couple reparti, je ramenai la conversation sur les arbres, pour détendre l’atmosphère. Roland m’a appris que l’érable dit de Montpellier aurait été ainsi nommé jadis abusivement par des botanistes de l’université de Montpellier, alors qu’il n’est pas particulièrement localisé autour de cette ville. Selon lui c’est dans notre région que cet arbre est le plus abondant. Cela ne me semble pas bien correspondre avec ce que je crois savoir des forêts locales, restes de l’antique sylve d’Argenson, séparant le Poitou de la Saintonge et marquant un seuil écologique, puisqu’elle serait à la limite méridionale de l’aire d’extension du hêtre et à la limite septentrionale de celle dudit érable de Montpellier. Cette situation marginale me parait mal s'accorder avec un peuplement plus dense, mais enfin c’est une question dont on pourra rediscuter. Une autre fois. Mon étalage se situait en bout de rangée, près du bord du stade, au-delà duquel se trouvait, à peu de distance, un petit bois de forme carrée, d’une trentaine de mètres de côté. Il était peuplé de tilleuls, d’érables et de frênes, vaguement plantés en rangs irréguliers, entre lesquels l’herbe était proprement coupée ras. Il régnait sous ce couvert une pénombre magique et bienfaisante. Dans les moments creux je désertais mon étal, pour aller m’y rafraichir. Aucun bois naturel n'aurait eu cet aspect. C'était pour moi encore une fois l'occasion de constater que ce vers quoi souvent me porte mon goût, ce que j'ai le plus de plaisir à contempler, n'est pas la nature elle-même mais la nature retouchée par l'homme.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire