Après avoir lu en suivant l’énorme tome 4 (280 pages) puis le tome 5, derniers parus de la série L’Arabe du futur, et en attendant le tome 6 annoncé pour bientôt, je me demande ce que j’ai le mieux aimé dans cette bédé-fleuve de Riad Sattouf. Sur le plan de la forme, tout d’abord. Il y a une image récurrente qui tranche sur les autres par sa rigueur quasi classique, c’est la vue de la maison de la grand-mère, qui réapparait à chaque séjour en Bretagne. Pour le reste c’est un style de dessin assez typique du genre, pour ne pas dire commun, mais dont l’auteur joue avec maitrise, par exemple il est très habile à suggérer les sentiments sur les expressions faciales. Il y ajoute aussi des trucs à sa façon : il complète le texte des encarts marginaux et des phylactères par des inscriptions dans le dessin même, il s’amuse à faire suivre sur plusieurs cases un texte en encarts qui n’a pas de rapport direct avec le dialogue des personnages, il attribue aux lieux une teinte de fond (bleu pour les séquences en France, rose pour la Syrie et l’Orient, rouge vif dans les moments intenses). Sur le plan du récit, l’auteur est en quelque sorte aidé par le sujet, car son histoire familiale n’est pas banale. Mais il ne suffit pas d’un bon matériau pour faire un bon conteur et Sattouf mène bien son histoire, qu’il émaille d’anecdotes bien choisies, d’ellipses, de coups de théâtre, on ne s’y ennuie pas. Le fait qu’il s’agisse d’une autobiographie donne aussi plus de poids à l’histoire, à mes yeux du moins. Mais le plus intéressant dans le contenu de ce long recueil de souvenirs, c’est peut-être le témoignage sur les mœurs, en Syrie comme en France. Candide sociologue, Sattouf ne nous sert pas les bobards convenus sur les joies des cultures différentes et du vivre-ensemble. Au contraire il dépeint sans fard l’arriération de la société syrienne, qui plus est dans la campagne reculée où le père essaie de faire vivre la famille : maisons mal construites, cruauté routinière des enfants comme des adultes, pénurie, corruption, fanatisme religieux et politique, anti-sémitisme général, consanguinité (tous les gens du village sont cousins) etc. Et côté français, le contraste entre la vie rurale paisible dans les environs du cap Fréhel, et la menace des voyous, principalement arabes, dans les rues de Rennes («Dégage sale pédé, fils de pute», IV-183 et ailleurs). Ces réalités sociologiques ont une incidence sur la vie de la famille, où peu à peu les rapports se dégradent entre les parents de Riad, du fait aussi que le père évolue bizarrement de l’athéisme progressiste vers le fanatisme religieux. Etrange personnalité que celle de ce père syrien, prompt à traiter les Français de racistes mais ne cachant pas son propre mépris vis-à-vis des Noirs, des Juifs et des Maghrébins, et professant des analyses rappelant celles du Front national («ils sont là pour les allocs», IV-195 et ailleurs), dont il tient le leader en grande estime («Le seul grand homme politique français vivant, c’est Le Pen», IV-164). Quant à la mère, qui reproche régulièrement au père ses sorties racistes, elle finit par rompre en s’écriant, excédée, «J’en ai ras le bol des Arabes !» (IV-238). Il y a là matière à méditer sur la complexité des relations entre «communautés», comme on dit maintenant.
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