mardi 2 décembre 2025

Knivet

    Bien que n’ayant toujours pas l’intention d’étudier le récit du voyage d’Anthony Knivet, que je n’arrive déjà pas à lire, je viens de feuilleter par curiosité la bonne réédition du texte original, publiée par un certain Vivien Kogut Lessa de Sá aux presses de l’université de Cambridge en 2015, The admirable adventures and strange fortunes of Master Anthony Knivet : an English pirate in sixteenth-century Brazil. En parcourant l’appareil critique, deux remarques m’ont intéressé. Tout d’abord la constatation (p 201) qu’au contraire de tous les autres chroniqueurs du Brésil de l’époque, Knivet est le seul à rester totalement muet sur la question de l’anthropophagie, bien qu’il ait lui-même vécu chez des Indiens qui la pratiquaient. Ce «striking silence» lui enlève encore de l’attrait à mes yeux. Par ailleurs la mention (p 210) de sa réaction quand, vivant chez les Tamoio, ceux-ci lui proposent des femmes : Je refusai, expliquant qu’il n’était pas de notre usage de prendre femme hors de notre pays. L’argument n’était sans doute qu’un prétexte, mais quelle était la vraie raison du refus ? Ce rude gaillard n’étant pas excessivement scrupuleux, je doute qu’il ait été choqué par une pratique abusive. Alors, quoi ? Les femmes qu’on lui proposait étaient-elles moches ? Ou n’avait-il tout simplement pas le goût des filles, comme il arrive ? En tout cas l’anecdote me parait significative, une fois de plus, du statut peu enviable de la femme dans ce genre de société primitive : équivalent à peu près à celui d’une esclave ou d’un animal domestique que l’on prend, que l’on donne, que l’on prête, que l’on vole, que l’on échange sans lui demander son avis, qui est là pour servir, obéir et se taire. Les indigènes se réclamant aujourd’hui de leur héritage culturel restent discrets sur ce point.

lundi 1 décembre 2025

dimanche 30 novembre 2025

cannes

    Dans une lettre d’octobre 1959, Henry Miller raconte à Lawrence Durrell qu’un beau jour, il avait acheté à Paris «une canne qui avait appartenu à Kipling, ou à Modigliani. Je l’ai perdue à Rocamadour, un soir…» Je me demande si celui qui l’a récupérée savait qu’elle avait appartenu à Miller. La canne est en effet un objet que l’on perd, surtout quand on s’en sert avant l’âge où l’on en a un besoin constant. J’avais trouvé ma première canne au bord de la route, dans les bois de Gironde, oubliée sans doute par un chercheur de champignons. Elle était ferme et légère, avec le bout ferré, je l’aimais beaucoup. J’en ai possédé quelques autres depuis, achetées ou offertes, actuellement quatre ou cinq, partie dans mon entrée, partie dans la voiture. J’en ai revendu, et j’en ai moi aussi perdu une, de mes favorites, en bois rougeâtre, achetée à la frontière dans une venta. Je crois l’avoir oubliée dans une foire à Cassy. Ma préférée en ce moment a pour poignée un petit pommeau en corne gris, bien poli. Pour moi ce n’est pas juste un instrument élégant et commode, c’est aussi une arme par destination pour me garantir des chiens et des fâcheux, sait-on jamais…

samedi 29 novembre 2025

incendie

A Hong Kong un incendie s’est déclaré mercredi dernier le 26 novembre dans un énorme complexe d’habitation construit dans les années 80 et récemment rénové, formé de huit tours d’une trentaine d’étages, comprenant au total deux mille appartements et abritant quelque 4800 personnes. On ignore encore si le feu est d’origine criminelle ou accidentelle mais on sait qu’il a d’abord pris dans un échafaudage en bambou avant d’embraser une première tour et de s’étendre en tout à sept, dont trois ont été particulièrement ravagées. Trois jours après on n’a toujours pas fini de compter les morts, les blessés et les disparus. Le bilan s’élevait à 55 morts jeudi, 94 hier, 128 ce matin. C’est un des traits qui m’épouvantent le plus dans ces gigantesques fourmilières humaines, outre leur laideur et la promiscuité : la possibilité de l’incendie, ne laissant de choix qu’entre griller sur place ou se défenestrer. Plus que jamais je milite pour le droit à vivre au niveau du sol et je me réjouis d’avoir ce privilège.

vendredi 28 novembre 2025

jardin

    La nature a ses idées, sur ce qu’il faut faire du jardin, mais souvent ce ne sont pas les nôtres.

jeudi 27 novembre 2025

garçonnes

    La personnalité singulière de Noël Santon m’a intéressé. Je me suis renseigné sur elle en ligne, j’ai retouché et complété sa notice dans Wiki, ainsi que celles sur deux autres garçonnes avec qui elle fut en relation : la secrétaire et biographe de Colette, Claude Chauvière (1885-1939) et l’éditrice périgourdine du Mercure de France, Rachilde (1860-1953). Ces dames étaient en quelque sorte des non-conformistes, mais non des rebelles à la mode d’aujourd’hui. Santon vibrait de patriotisme, Rachilde était parait-il anti-féministe et xénophobe, quant à Chauvière, fille de militants d’extrême gauche, elle devint royaliste et dévote. En ces temps reculés, on n'avait pas encore inventé la convergence des luttes...

mercredi 26 novembre 2025

Santon

    Pour me renseigner sur la vie à Saint-Jean d’Angély au moment de l’exode de juin 1940, j’ai lu les premiers chapitres de deux petits livres jumeaux signés Noël Santon, parus en 2013 aux éditions de L’Angérien Libre. L’un d’eux (I), Des heures qu’on n’oublie pas : Les temps étranges (mai-octobre 1940), semble être un recueil de notes prises sur le moment, peut-être restées inédites jusqu’alors. L’autre (II), Saint-Jean sous la botte, portant sur toute la période de l’Occupation, est la réédition d’un ouvrage de 1947, dans lequel sont remployées par endroits les notes du premier. L’auteur, en fait une femme, de son vrai nom Noëla Le Guiastrennec, était né en 1900 à Saint-Julien de l’Escap, banlieue orientale de Saint-Jean d’Angély. Ecrivaine, éditrice et graveuse, elle vécut principalement dans la ville de Saint-Jean, dont elle fut la bibliothécaire de 1953 à sa mort accidentelle en 1958. Du genre garçonne, elle écrivit une cinquantaine de livres, surtout des romans, sous divers pseudonymes, presque tous masculins, dont Noël Santon fut le principal. Dans les années 30, elle publia la revue littéraire Corymbe et anima une maison d’édition du même nom. Au moment où éclate la deuxième guerre, Noël avait un «travail militaire» (I, 3) dans les bureaux semble-t-il, au camp d’aviation de Fontenet (I, 10, II, 8 et passim) à quelques kilomètres au sud-est de Saint-Jean. Elle est patriote et exprime en termes lyriques son attachement charnel et spirituel à «tout cet ensemble de passé, de présent et d’avenir, d’âme et de chair, qui constitue la patrie» (I, 4) … «Notre corps, qui retourne à la terre, n’est-il pas lui-même un morceau du pays ? Notre corps qui est ce sol, ces arbres, ces champs, ces villes, comme notre âme est ce ciel, cet air enivrant, cette admirable lumière de France ? … l’âme loyale de l’histoire de France…» (I, 6-7). Aussi l’annonce de la défaite de l’armée française en mai-juin 40 est-elle un choc qui la plonge dans le désarroi : «On se sent innombrablement seul sous le poids de la gigantesque douleur collective» (I, 10) malgré le beau temps, les «journées étincelantes de soleil» (II, 7). Puis survient le flux chaotique de l’exode, les gens fuyant le nord. Noëla s’y trouve confrontée dans les embouteillages, lors des deux allers et retours qu’elle fait chaque jour en bus entre Saint-Jean et l’aéroport. Elle décrit aussi l'affluence en ville des arrivants, la ruée sur les magasins et les hôtels, les endroits où dormir. Je pense à mes grands-parents petits commerçants, étaient-ils déjà installés dans cette ville ? Ils auraient des souvenirs à raconter sur le sujet. Je m’amuse de ce remaniement dans le texte de Noël : elle écrit d’abord que certains réfugiés échouent «sur les bancs d’un square, sous les arbres d’une avenue» (I, 17), puis «sous les arbres d’un square, sur les bancs d’une avenue» (II, 5). Elle évoque la présence de rares écrivains, comme Maxence van der Meersch et Sacha Guitry (I, 15, II, 20-21) mais ne parle pas de Céline, qui passa par là un peu plus tard.