dimanche 29 mai 2022

Witold

 Souvenir de Witold Pozoga. Je ne le voyais plus ces dernières années, à mon grand regret, et je viens d’apprendre qu’il est mort à Arcachon, où il résidait maintenant. Il me semble que nous avions fait connaissance, dans les années 80, parce qu’il avait demandé à me rencontrer après avoir vu dans le petit magasin punk de la rue de Ruat, que j’avais publié dans mes revues des œuvres de son compatriote Waclaw Ropiecki. Il était je crois un peu plus jeune que moi. Il avait fui sa chère Pologne, alors communiste, pour échapper au service militaire. Il était de Szczecin (anciennement Stettin). Quand je l’ai connu, il habitait rue de Pessac avec sa femme et ses deux premiers fils. Nous étions devenus copains. Nous pratiquions tous deux la traduction. Dans les années 90 il a collaboré à plusieurs de mes Lettres documentaires en traduisant des fragments de Jan Lechon, de Witold Gombrowicz, de Jakub Sobieski. Les trois lettres de Gombrowicz qu’il a fait paraître dans les Ld ont ensuite été retraduites en anglais dans la revue World Letter, en Iowa. Il avait aussi traduit les légendes de dessins de Piotr Szyhalski et m’avait fourni la version polonaise de listes de vocabulaire que je collectionnais. C’est grâce à lui qu’une de mes Lettres a paru sous le titre polonais de List dokumentalny. Je ne sais plus en quelle année il avait eu la bonne idée, une fois naturalisé, de passer l’agrégation de polonais. Il n’y avait pas de poste pour cette matière dans l’académie de Bordeaux, mais il avait obtenu la possibilité d’y rester en servant dans d’autres fonctions que l’enseignement. Il avait une vie sentimentale mouvementée. Nous lui avions offert quelque temps l’asile «politique» dans notre logement de Saint-Pierre quand il s’était séparé de sa femme. Dans un moment d’exaltation, il avait déclaré trouver dans Gombrowicz la solution de tous ses problèmes familiaux. Il buvait beaucoup, et m’a entrainé plus d’une fois dans ce qu’il appelait volontiers l’ivrognerie. La vue des vignobles l’enchantait, il m’encourageait à planter un petit carré de vigne. Il m’avait acheté une histoire de la littérature polonaise que je tenais de Michel Ohl, qui m’offrait parfois des livres pour que je fasse un peu d’argent en les revendant. Il y eut je ne sais quand cette bizarre escapade d’une journée en Dordogne, où nous étions allés en empruntant la voiture de ma mère, visiter un temple bouddhiste qu’il voulait voir, et rôder autour de ce que nous supposions être la propriété du naturaliste Jacques Brosse. J’ai assisté à son remariage haut en couleur dans les Deux-Sèvres, pendant une canicule sévère. Il est venu peut-être trois fois à la Croix, la dernière en compagnie de Margot et de leur fils encore tout jeune. Je ne l’ai plus vu que rarement ces dernières années, étant pour ma part exilé dans les banlieues et maintenant dans la brousse. Je l’ai croisé par hasard une paire de fois dans les rues de Bordeaux, je suis passé chez lui quand il habitait je crois rue Leupold, près des quais. Je possède encore deux objets qu’il m’avait offerts, une belle pierre d’ambre de la Baltique et le seul livre de Philippe Muray que j’aie lu. Il me manquera.

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