samedi 31 mai 2025

Robinson

    A la sortie de Saint-Jean d'Angély en direction de Niort, la route file droit vers le nord en suivant une première pente, au bas de laquelle on croise la voie ferrée, puis elle remonte, puis elle suit une deuxième pente, plus longue, avant de remonter vers Saint-Denis du Pin et au-delà vers mon propre village. Au bas de cette deuxième pente on voit à main droite un bois isolé au milieu des champs, à une vingtaine de mètres du bas-côté. Je passe souvent par là en voiture et depuis longtemps j’ai remarqué à distance que ce bois n’est pas touffu comme un bois naturel, mais parait éclairci comme un parc entretenu. En hiver, quand le feuillage se raréfie, on y distingue même quelques signes de présence humaine : la silhouette d’une petite maison, d’autres installations plus discrètes, peut-être des bûchers. Au fil du temps je me suis interrogé sur ce qui s’y trouvait au juste. J’imaginais qu’il pouvait y avoir là une petite famille, peut-être un homme seul, confortablement installé avec poulailler, ruches, puits et barbecue. Par-devers moi je me suis mis à nommer cet endroit le bois de Robinson, mais je ne prenais jamais la peine d’aller voir de quoi il retournait : ce n’était pas le moment, je n’avais pas le temps, j’ignorais le chemin à suivre pour y accéder ou du moins m’en approcher, et puis une fois sur place, si je tombais sur quelqu’un, aurais-je pas l’air d’un intrus… Je dois dire que je portais à ce bois une curiosité certes renouvelée mais toujours éphémère, j’y songeais en passant au volant de mon char, et j’oubliais aussitôt en m’éloignant. Il y a quelques semaines, cependant, réalisant qu’il y avait peut-être un quart de siècle que je me posais des questions sur ce bois mystérieux, je décidai d’en avoir le coeur net. Un beau jour je quittai la grand route par la première voie secondaire qui se présentait, suivis un chemin de contournement, trouvai une place où parquer ma voiture et pris un sentier à travers champs. Je fus bientôt arrivé mais ne pénétrai pas dans le terrain, qui était enclos, et je compris aussitôt qu’il était délaissé. On voyait en effet là une maisonnette, quelques traces d’occupation humaine, mais à part ça plus rien ni personne. Il y avait sans doute eu de la vie dans ces lieux, mais elle avait cédé la place à l’abandon. J’en étais un peu déçu, quoique satisfait de savoir maintenant à quoi m’en tenir. Un peu amusé, aussi, de voir comme nos rêveries peuvent s’accrocher à des chimères…

2 commentaires:

  1. Cher Philippe, très beau texte, que je viens de lire à voix-haute à mon "aide de camp"

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    1. Merci, cher Lucien. Mes amitiés à toi et Josiane.

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