dimanche 12 mars 2023

Arlette

Lui aussi avait bonne mine, ce petit J’ai Lu de 1974, Moi, une militante, avec le minois de l’auteuse, Arlette Laguiller, joliment peint sur la couverture. Ce bel emballage ne laisse guère soupçonner l’assaut de pleurnicherie haineuse qui s’étale à l’intérieur de l’ouvrage. Je n’ai réussi à lire que les premières pages, où Arlette évoque ses roots plébéiennes, son enfance. En bonne marxiste, elle sait que les pauvres ne sont jamais responsables de leur pauvreté, c’est toujours la faute aux autres, aux pas-pauvres, surtout aux vilains bourgeois capitalistes de droite, qui sont très méchants. Même dans les cas comme celui de la famille Laguiller, où cette évidence ne saute pas aux yeux. Ladite famille est certes mal lotie, en cet immédiat après-guerre, elle vit dans une pièce unique. Le père «avait été prisonnier de guerre, était rentré malade et n’avait jamais retrouvé des activités bien normales ... le plus souvent, il était au chômage». Ces indications vagues ressemblent à une vague excuse pour expliquer que si le père, par ailleurs anarchiste, n’était pas un bourreau de travail, ce n’est pas parce qu’il avait les côtes en long, mais parce qu’il était réellement mal en point. Admettons. Ajoutons au tableau l'indication également floue que la plupart des familles de l’immeuble étaient «à problèmes : des gens buvaient, se battaient, se faisaient des scènes terribles et tous manquaient d’argent». La militante ne précise pas si ces mauvaises mœurs étaient aussi celles de sa propre famille, mais ne dit rien qui le démente. De son côté la mère «malade aussi, ne travaillait pas, profondément traumatisée par la guerre, les bombardements, elle ne s’était jamais tout à fait remise de la mort d’un jeune enfant en 1945...» Bon. Que font de leur temps libre ces gens qui ne travaillent pas, et qui n’ont guère de moyens ? Evidemment des enfants, pour tout arranger. Au moins quatre, à ce que j’ai compris (Arlette, ses deux frères et l’enfant défunt). De quoi vit la famille ? De l’assistance publique. Ce détail me frappe : la vilaine société fournit quand même des colis, l’assistance médicale, la cantine gratuite et Dieu sait quoi d’autre, mais la seule chose qu’Arlette trouve à en dire, c’est que c’était «humiliant» : pas un mot de gratitude. De même un peu plus loin elle raconte qu’elle allait gratis dans une colonie de vacances tenue par un curé (mais un curé comme il faut : rouge et qui couche) et financée par «quelques dames à particule», qui distribuaient aussi des jouets à Noël. Là encore, le seul commentaire de cette vipère ingrate est de confier qu’avec ses camarades, «Nous nous moquions un peu d’elles : conscientes de l’injustice sociale, la charité nous était pénible.» Mais putain, si c’était si pénible, il ne fallait pas l’accepter, la charité, que ces «dames à particules» n’étaient pas obligées d’accorder. Ce genre de mentalité m’est tout à fait contraire et m'insupporte. Moi aussi je suis issu de la plèbe, je n’ai d’ailleurs pas été fichu de m’en sortir, mais quand quelqu’un m’aide, je ne lui crache pas dans la gueule et je ne lui demande pas de refaire le monde : je le remercie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire