Je me suis laissé captiver par un vieil album de Tintin, L’oreille cassée, trouvé dans une boite à livres. L’histoire présente un mélange de puérilité (ce pouvoir quasi surnaturel du héros, qui échappe sans cesse à la mort in extremis) et de sophistication (l’intrigue est remarquablement élaborée). C’est divertissant. Une surprise amusante pour moi a été qu’un des personnages, le guide indien que l’on voit pagayer sur la couverture, porte le même nom qu’un de mes écrivains sulfureux préférés. Dans l’histoire, il n’apparaît qu’aux pages 46-47. Un propriétaire terrien le présente à Tintin : «Voilà Caraco, un Indien qui connaît très bien le fleuve...» La mission de conduire Tintin chez des sauvages l’effraie, mais le reporter le convainc en lui tendant une liasse de billets : «Allons, Caraco, réfléchis : regarde ce que je t’offre.» Cela marche : «Caraco ira. Mais Caraco très pauvre : toi encore acheter le canot de Caraco.» Et les voilà partis à voguer sur un fleuve. Le soir, ils campent : «Bonne nuit, Caraco. – Bonne nuit, señor.» Mais le lendemain matin, l’oiseau s’est envolé : «Tiens ! Où est Caraco ?» Tintin l’appelle, «Caraco !» En vain, il ne réapparaitra pas. Je ne sais si les exégètes, qui scrutent chaque détail des aventures de ce héros, se sont demandés d’où Hergé avait tiré ce nom. Il ne peut s’agir d’une allusion à l’écrivain, qui n’était pas encore connu quand l’histoire a paru, dans les années 30. Se peut-il en revanche qu’Albert Caraco (1919-1971) ait eu connaissance de ce personnage homonyme ? Chronologiquement, ce n’est pas impossible. Psychologiquement, c’est plus douteux, je ne crois pas qu’il existe le moindre indice que Caraco ait jamais lu une bédé. Mais après tout il s’intéressait au dessin, qu’il avait pratiqué dans sa jeunesse, et il avoue se laisser aller parfois à des lectures légères, comme des revues féminines...
PS. Pierre Ziegelmeyer me signale comme possible source de Hergé le personnage de Caraco, un singe malin dans les bandes dessinées de Benjamin Rabier (1864-1939). J'en repère quatre titres dans Abebooks : Les malheurs de Caraco (1932), Caraco fait des folies (1933), Caraco plongeur (1934) et Caraco touche à tout (1935). Rappelons que L'oreille cassée fut pré-publiée en revue de 1935 à 1937, année de la première parution en album.
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