mercredi 8 janvier 2025

Le Pen

(Réédition) Journal documentaire, Mardi 22 septembre 2020. Longtemps j'ai hésité à m'attaquer au pavé de quatre cents pages qu'est le premier volume des Mémoires de Jean-Marie Le Pen, Fils de la nation, paru il y a deux ans, et finalement je l'ai lu beaucoup plus vite que je n'aurais cru, en quelques jours, car il s'est avéré être un véritable page-turner qui maintient sans cesse l'attention, même sur des sujets qui ne me passionnent pas, comme les guerres d'Indochine et d'Algérie. Publié l'année des 90 ans de l'auteur né en 1928, c'est le livre où un homme qui a beaucoup vécu dresse le bilan de son existence. Il dit en avoir entrepris la rédaction en 2016, mais en se servant de notes accumulées au fil du temps depuis des décennies. Ce premier volume couvre la moitié de sa vie, jusqu'au début des années 70, avant la création du Front National. Les passages qui m'ont le plus touché sont peut-être les souvenirs de son enfance de fils unique et bientôt orphelin dans le milieu rude et pauvre des pêcheurs bretons. Il y a des pages saisissantes sur la mort de son père, consécutive à l'explosion de son bateau de pêche en pleine mer à cause d'une mine remontée dans les filets (il ne meurt pas immédiatement mais finit par se noyer, épuisé après avoir passé toute la nuit agrippé à un morceau d'épave). Le livre est écrit dans un français de bonne tenue, sans affectation, avec de temps en temps un imparfait du subjonctif bien placé mais sans en abuser, et sans se refuser ici et là le recours aux tournures popu (la dèche, le buzz, les bagnoles, pas top, etc). Le Pen a parfois des réflexions méchantes («Le communisme permettait aux médiocres, aux fainéants, aux poivrots de penser que leurs échecs étaient dus non à leurs défauts mais à la société capitaliste») mais le ton dans l'ensemble est assez serein, par moments même enjoué (voir par exemple la très drôle affaire du duel du marquis de Cuevas avec le danseur Serge Lifar). L'auteur peut avoir des mouvements de modestie («Je ne prétends pas avoir toujours raison»), reconnaissant à l'occasion s'être fait des illusions («Quitter l'Algérie était sans doute inéluctable ...») ou admettant n'avoir pas été un père parfait («Nous étions plus mari et femme que parents, je l'avoue ...»). En tout cas il sait raconter sans ennuyer.

... Jeudi 28 janvier 2021. Je reviens sur ces deux passages, notés à l'automne dernier en lisant le premier volume des Mémoires de Jean-Marie Le Pen. Ce sont des remarques marginales, faites en passant sur un sujet qui n'a rien de central dans le livre. La première à la page 30 : «... si dur qu'ait été le métier de mineur, celui de marin pêcheur l'était plus encore : le mineur, ses quarante heures finies, fussent-elles infernales, avait droit à deux jours de repos, une vie familiale, des amis, des loisirs. Le marin ne connaissait ni jour, ni nuit, ni dimanche, ni jours fériés. Il se trouvait privé sa vie durant de tout ce qui constitue le pauvre bonheur des hommes, caresser sa femme et ses enfants, jouer aux cartes avec les amis, ou flâner sur le quai. Il n'avait droit à cela que deux jours par quinzaine. Quand il rentrait le corps encore balancé par le roulis, il arrivait à la maison comme un étranger qui salit le carrelage. Les femmes vouées à la solitude et dotées de l'autorité familiale s'y habituaient.» La seconde à la page 87 : «Les femmes, chez nous à l'époque, se mariaient pour ne pas travailler, pour s'établir, fonder une famille. L'épouse avait une importance déterminante, c'était elle, à bien des égards, le vrai chef de famille, la patronne. Une année de crise, quand le poisson ne se vendait pas bien, Maman avait dû faire des ménages. Elle en avait honte.» Ces fragments me paraissent intéressants non seulement pour la qualité du style, mais aussi pour la justesse de l'observation. (J'avais aussi noté des remarques similaires chez Charles Juliet, voir au 7 VIII 20, et dans mon propre journal au 5 VII 17). Il me semble qu'une discussion sérieuse, si un jour les féministes se décident à discuter sérieusement, ne pourra faire l'économie d'une réflexion sur l'écart entre le «pouvoir» masculin apparent ou supposé, et la réalité psychique de l'autorité.

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