jeudi 4 août 2022

Léautaud

 Propos d’un jour (Mercvre de France, 1964) est un recueil d’aphorismes et de fragments rédigés à diverses époques par Paul Léautaud. Il y parle beaucoup de l’amour, sur lequel il a des vues matérialistes, considérant que la chair prime sur les sentiments. Ce n’est pas mon sujet favori, et je ne partage pas toutes les idées de l’auteur, mais j’aime bien son ton, parfois sa justesse : «L’amour, sans la jalousie, n’est pas l’amour» (page 39). Sur bien des sujets il a ses partis pris : il déteste les Polonais («Race abominable», 124), admire les Vendéens qui «se soulevèrent pour n’être pas soldats par force, grand exemple … du véritable amour de la liberté» (132), déplore qu’un étudiant juif se soit fait rosser par des crétins d’Action française (70), se moque des «Anes à diplômes, qui n’en restent pas moins des ânes» (88). Je n’aimerais pas accueillir comme lui chiens et chats dans ma maison, surtout en nombre, mais je comprends et j’approuve sa charité envers les animaux. Belle anecdote à propos d’un soir de mauvais temps, où quatre chats du voisinage se sont réfugiés dans sa maison toujours ouverte : «Quand je fais mon dernier tour à minuit, je les trouve dans la cuisine, ouvrant de grands yeux inquiets, dans la crainte d’être chassés. Je fais comme si je ne les voyais pas» (150). Il a aussi une page émouvante sur le triste sort des chevaux de mine, condamnés à passer vingt ans sous terre sans revoir le jour et ne ressortant que pour aller à l’abattoir : «quand de jeunes chevaux arrivent dans la mine, pour y trouver le même sort, les vieux viennent à eux, les examinent, les flairent, comme pour respirer sur eux l’odeur de l’air et du grand jour…» (151). Léautaud raconte qu’une fois, un rustre dans la rue l’ayant bousculé et invectivé en lui lançant «Va donc, espèce d’enc…», il lui a répondu «on n’en dira pas autant de vous, vous n’êtes pas assez joli» (132). Cet incident me rappelle la réplique encore plus lapidaire d’un opprimé, sous mes fenêtres jadis à Bordeaux. Un autre lui ayant lancé «Je t’encule !», il avait rétorqué «Ben pas moi, t’es pas assez beau.» Il arrive à Paul de se contredire, par exemple il juge tantôt que sa vie a valu le coup, et tantôt qu’elle a été médiocre (magnifique paragraphe où il répète vingt fois l’adjectif «mauvais(e)» à propos de tous les aspects de son existence, 127). Autre exemple, il affirme ici que «Rien n’apprend à bien écrire comme la lecture des mauvais écrivains» (129) et conseille là, à celui qui veut écrire, de ne lire «rien de bas…, de commun…, de servile…, de populaire…», de chercher «toujours haut et libre» (137). Mais il pondère plus loin qu’ «Il n’est pas de sentences, de maximes, d’aphorismes, dont on ne puisse écrire la contre-partie» (145). Il cite à deux reprises le mot de Sainte-Beuve, selon qui «Un membre de l’Académie écrit comme on doit écrire. Un homme d’esprit écrit comme il écrit» (93, 153). En effet Léautaud est d’avis qu’il faut rechercher la spontanéité, l’improvisation (131), plutôt que la correction. Il prise moins le grand style que celui de la conversation écrite (92, 158). Je suis assez d’accord avec ce point de vue, sans aller jusqu’au culte du premier jet. A mon sens, un peu de polissage ne nuit pas.

1 commentaire:

  1. « Dire qu'il faudra partir un jour, alors que tant de gens continueront à faire l'amour.»

    RépondreSupprimer