J’ai lu par endroits ce livre de boite, L’imparfait du présent, d’Alain Finkielkraut (Gallimard, 2002). Comme indique le sous-titre, c’est un recueil de «pièces brèves», datées, longues d’une à quelques pages, rédigées au fil de l’année 2001. J’ ai voulu regarder dans ce livre parce que j’ai gardé de l’estime pour ce polémiste, ayant été jadis un fidèle de ses Répliques du samedi matin sur France Culture, et depuis que je n’écoute plus cette radio j’ai suivi de loin en loin ses interventions dans le débat public, souvent à rebrousse-poil de la bien-pensance. Dans ce livre par exemple j’ai apprécié qu’il prenne (les 23 et 25 janvier) la défense de Maurice Papon, non pour le disculper mais pour rappeler qu’il a été blanchi d’une bonne part des accusations portées contre lui, ayant été reconnu coupable de «complicité de crime contre l’humanité» mais sans intention homicide, et pour protester contre les vengeurs fanatiques qui refusaient de le laisser sortir de prison alors qu’il était âgé de 91 ans. Finkiel a le sens de la formule et j’aimerais citer ce passage : «... le temps est révolu où on n’aimait pas les Juifs. On a changé d’avis. On fustige l’Inquisition. On condamne les pogroms. On réprouve les ghettos. On est résolument dreyfusard. On est tous des juifs allemands. On déteste les nazis. On méprise les collabos. On combat sans mollir l’antisémitisme, le racisme, l’exclusion. Et ce «on» qui croit déplaire à tout le monde, alors qu’il est tout le monde ...» De même un peu plus loin, le 15 février, il s’insurge avec discernement contre le lynchage médiatique dont est victime Renaud Camus, hâtivement accusé d’antisémitisme. Il ne manque d’ailleurs pas de thèmes camusiens, ce recueil de notes où l’auteur fustige les progrès de la «langue avachie» (30 mai) et se déclare «allergique au bruit» (21 juillet). Je retrouve un écho de Berlin au 30 juillet dans l’évocation de la Love Parade qui se tient paraît-il chaque année au Tiergarten et dans laquelle le bruit de la musique techno est tel qu’on retrouve le lendemain quantité de petits animaux (lapins, écureuils, crapauds) morts ou restés sourds, les tympans crevés. Des souvenirs plus anciens me reviennent avec la note du 22 août consacrée à critiquer le sociologue Didier Lapeyronnie. Finkielkraut épingle cette déclaration typiquement de gauche : «On est dans une société ségrégative où il y a peu de lieux où les différentes couches de la population cohabitent. Les jeunes sortent peu de la banlieue et quand ils le font, c’est souvent en groupe, en important leur mode de sociabilité et leur culture de provocation turbulente là où ils vont.» L’écrivain voit en particulier dans cette formule de la «culture de provocation turbulente» une «périphrase lénifiante» pour qualifier en fait «la triste réalité des pieds sur la banquette ... les incendies d’écoles maternelles, la terreur exercée sur les voisins indociles ou les agressions contre les médecins». Pour moi, Lapeyronnie n’était pas seulement un de ces experts que les médias invitent volontiers à exposer leurs conceptions plus partisanes que scientifiques (je l’avais entendu une paire de fois à la radio), c’était un contemporain né la même année que moi et nous avons été au moins une année camarades de classe et même voisins de pupitre à Bergerac, je ne sais plus si c’était à l’école ou déjà au collège. Un garçon sérieux et bon élève, dont je n’ai pas beaucoup de souvenirs, l'ayant assez vite perdu de vue. Je me souviens d’une fois, était-ce encore au temps du lycée ou déjà à l’âge de la fac, où par le hasard de copains de copains je m’étais retrouvé dans une chambre où il exposait avec fierté sa collection des œuvres complètes de Sartre en format de poche, étalées sur le sol en arc de cercle. Ça m’en avait bouché un coin, à l’époque. Quand j’ai appris qu’il était mort, en 2020, je ne sais de quoi, ça m’a fait un pincement, malgré l’éloignement...
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