samedi 2 août 2025

baleines

Lettre documentaire n° 530

DES BALEINES, par Gabriel Soares de Sousa 

(Chapitre II-125 de sa Notícia ou Tratado descritivo do Brasil, 1587)

    Je crois qu’il convient dans ce premier chapitre (1) de parler des baleines qui viennent dans la Baie (2). Ce sont les plus grands poissons de cette mer et les Indiens les nomment pirapuã (3). Il en entre beaucoup dans la Baie au mois de mai, qui est le premier de l’hiver dans cette région, et elles y séjournent jusqu’à la fin décembre, quand elles s’en vont. Pendant la saison d’hiver, qui dure jusqu’au mois d’août, les femelles mettent bas dans cette baie, à l’abri des tempêtes de la haute mer. Elles gardent là leurs petits trois ou quatre mois, jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de suivre leur mère au large. A cette époque les femelles recommencent à frayer, ce à quoi elles oeuvrent en grand tumulte. Quand les baleines sont dans la Baie, le poisson fuit vers les hauts-fonds ou les cavités, où elles ne peuvent les suivre, et parfois en les poursuivant elles viennent à s’échouer, comme il est arrivé dans le fleuve de Pirajá (4) en l’an 1580, où deux se sont échouées, un mâle et une femelle, que tout le monde a pu voir. J’ai fait mesurer la femelle, qui était entière. Elle était longue de soixante-treize empans (5) de la queue à la tête, et haute de dix-sept (6), sans compter la partie enfoncée dans la vase où elle reposait. Le mâle était sans comparaison plus grand mais on n’a pu le mesurer, car il avait déjà été équarri et sa chair emportée pour en tirer l’huile. La femelle avait la gueule si grande que j’ai vu un nègre installé entre les deux mâchoires, tranchant dans la lèvre du bas avec une hache qu’il tenait à deux mains, sans toucher celle du haut. Le bord de la lèvre était aussi gros qu’un tonneau de six almudes (7), et la lèvre du bas était en saillie par rapport à celle du haut, au point que ... (8). Cette baleine était grosse et on en a extrait un baleineau grand comme une barque de trente empans (9) de quille. On a tiré de ces deux baleines tant d’huile, que la contrée en a été gavée pendant deux ans. Quand les baleines sont dans la Baie, elles vont par troupes de dix ou douze et sont très redoutées de ceux qui naviguent, car elles se déplacent en rugissant et en bondissant, lançant de l’eau très haut en l’air. Et il est déjà arrivé qu’elles mettent des bateaux en pièces d’un coup de queue, entrainant la mort de leurs occupants.

Notes. 
1. Le premier des chapitres qu’il consacre aux «poissons». 
2. La Baie de Tous les Saints, Bahia. 
3. Pirapuã : du tupi pira = poisson et puã = dressé. 
4. Pirajá (= plein de poissons) est aujourd’hui encore le nom d’un quartier de Salvador, non loin de la crique d’Itapagipe. 
5. 73 empans de 22 cm, soit environ 16 mètres. L’espèce la plus commune sur les côtes brésiliennes, la baleine à bosse (Megaptera novaeangliae ou M nodosa) peut mesurer jusqu’à 18 mètres, mais contrairement à ce qui est suggéré plus bas, les mâles sont en moyenne plus petits que les femelles. 
6. Soit environ 3,75 mètres. 
7. L’almude peut valoir entre 16 et 32 litres, soit un tonneau d’entre 100 et 200 litres. 
8. Passage obscur (tanto que se podia arrumar de cada banda dele um quarto de meação). Le champagne à qui m’explique ce quarto de meação. 
9. Soit environ six mètres et demi.

vendredi 1 août 2025

Stevenson

    Une nouvelle écrite par Robert Louîs Stevenson dans ses dernières années, restée longtemps inédite, enfin publiée aux USA en 1989 d’après un manuscrit retrouvé, telle est The enchantress, dont je viens de lire la traduction française La magicienne (Rivages, 1991). Cela raconte l’aventure d’un jeune aristo chic mais fauché, un peu dindon aussi (ruiné au jeu) qui épouse une belle orpheline riche mais sous tutelle, rencontrée providentiellement. C’est elle qui le demande en mariage et l’on comprend enfin que cette maitresse femme veut seulement se libérer de sa tutelle par cette union et n’a pas l’intention de vivre avec le bonhomme. Cette histoire à dormir debout ne m’a pas passionné. J’ai trouvé le titre français trompeur, je pense que j’en aurais choisi un autre.

mardi 29 juillet 2025

Arkansas

    En écho à ma remarque de l’autre jour (le 21) sur le devenir hyper-visible du monde, je lis dans un article, à propos de deux randonneurs mystérieusement assassinés dans un parc naturel de l’Arkansas, que les enquêteurs de la police puisent évidemment à ces deux sources : les caméras de surveillance et les vidéos aléatoires des touristes.

lundi 28 juillet 2025

Bing

    La mouche que vous ratez, qui s’envole in extremis, échappant ainsi à la tapette Bing, et qui pour comble vient se poser sur l’arme, quand ce n'est sur vous-même.

vendredi 25 juillet 2025

carrefour

    J’ai rêvé que je visitais une grande ville, peut-être Paris, avec l’ami Yannick L. Nous étions à un carrefour, d’où une possibilité était de faire le tour d’un vaste quartier rectangulaire, attirant parce que célèbre, mais j’avais un peu la flemme d’y aller. Connais-tu déjà cet endroit ? lui demandai-je. Oui, répondit-il, c’est le quartier lituanien. Dans ce cas, repris-je, il n’est peut-être pas nécessaire d’y aller. Je me sentais comme souvent hésitant, dansant d’un pied sur l’autre…

jeudi 24 juillet 2025

check

    Vers la fin du mois dernier Google News a enfin subitement renoncé à son secteur de fact check ou fact-checking, mettant ainsi fin a des années d’un usage ridicule, consistant surtout à vérifier la conformité des nouvelles avec l’idéologie politicorrecte.

mercredi 23 juillet 2025

Xénophon

    Parce que Tesson le recommande, j’ai consulté l’Economique, de Xénophon, qui ne m’a pas emballé. Bien déçu par son chapitre «De la plantation des arbres, notamment de la vigne, des figuiers et des oliviers» : il n’en dit presque rien, sa science consiste essentiellement à évaluer la profondeur du trou de plantation.

mardi 22 juillet 2025

Tesson

    Ayant trouvé dans une boite à livres celui de Sylvain Tesson Sur les chemins noirs (2016), qui m’inspirait, j’en ai lu une bonne moitié, puis comme il me lassait j’ai seulement survolé le reste. Après avoir fait une chute de huit mètres en escaladant ivre une façade d’immeuble en août 2014, ce qui lui a valu de multiples fractures, et après avoir passé un an en convalescence, l’auteur a décidé, pour se remettre en forme, d’effectuer une longue marche. C’est ainsi qu’en un peu plus de deux mois, de la fin août au début novembre 2015, il a traversé la France en diagonale, du sud-est au nord-ouest, depuis la frontière italienne jusqu’à la pointe du Cotentin, en suivant les petits chemins de campagne qu’il repère sur les cartes topographiques de l’IGN. Il marche seul, parfois rejoint par un(e) ami(e), et transporte ses bagages, dont une tente. ll fait du camping sauvage en forêt, dans les champs, dans des ruines, et couche quelquefois dans un hébergement. C’est une bonne idée, d’avoir tiré un livre de cette expérience, en écrivant en moyenne deux pages par jour. Tesson raconte bien, sans essayer d’être exhaustif, en rapportant juste les scènes, les vues qui lui importent. Mais le récit est alourdi par les incessantes méditations sur le vilain monde moderne, que l’auteur s’emploie à fuir dans les zones hyper-rurales, soi-disant pleines de révélations. Cette philosophie n’est pas sans intérêt mais j’ai trouvé qu’elle alourdit l’ouvrage, plus qu’elle ne le tonifie.

lundi 21 juillet 2025

visibilité

    Aujourd’hui tout le monde filme tout. Pour en revenir à une question que j’abordais naguère (le progrès des techniques et la démocratisation de leur usage, le 21 IV), il me semble qu’un aspect de la situation présente peut se résumer dans cet axiome : Aujourd’hui tout le monde, ou à peu près, non seulement filme ou photographie tout, mais diffuse les images sur internet. L’usage des caméras de sécurité avait déjà contribué depuis des années à rendre le monde plus visible, il devient hyper-visible maintenant que tout un chacun est reporter. Cela présente des inconvénients, comme l’étalage du mauvais goût, l’encouragement à l’exhibitionnisme, etc. Mais aussi bien des avantages, que l’on ne finirait pas d’énumérer. Parmi eux les vidéos didactiques, ne serait-ce que les innombrables tutos montrant comment bricoler, jardiner, cuisiner, etc. Autre exemple, les vidéos animalières, révélant les charmes et les drames de la vie des bêtes. Il y a aussi l’information générale sur l’actualité : comme a fait remarquer Elon Musk, on est maintenant plus vite informé des événements par les réseaux sociaux que par les médias professionnels. Je citerai enfin tout l’enseignement que l’on peut tirer du fait que les crétins ne se lassant pas d’exposer leurs âneries, les malfaiteurs leurs crimes, et les affreux leurs horreurs, on est ainsi édifié sur leurs agissements.

dimanche 20 juillet 2025

noms

EN RANGS

Pío Moa
Ciro Bayo
Elon Musk
Geof Huth
Juan Rufo
Léon Bloy
Mark Dice
Roger Moore
Rubén Darío
Albert Caraco
Blaise Pascal
Marcel Proust
Robert Graves
Thomas Merton
Antoine Rivarol
Chester Carlson
Jacques Abeille
Friedrich Nietzsche

(Dans ce poème-liste je me suis amusé à collecter des noms de personnalités, dont le prénom et le patronyme comptent le même nombre de lettres. (J'adore cet équilibre. Que ne m'appelé-je Filip Billé...). Je les ai disposés par ordre croissant de longueur, et à chaque longueur dans l'ordre alphabétique du prénom.)

samedi 19 juillet 2025

crotales

En relisant quelques pages du Tratado descritivo do Brasil, de Gabriel Soares de Sousa (1587), je retrouve ce passage qui m’avait frappé, au chapitre II-111, à propos des jararacas, nom tupi du Fer de lance commun, serpent de la famille des crotales, qui sont les vipères d’Amérique. Je traduis : «Ces serpents ont pour dents des crocs, avec lesquels ils mordent en biais. Il est arrivé dans la capitainerie des Ilhéus qu’un de ces serpents a mordu un homme à travers sa botte, lequel n’a pas senti de douleur et s’est moqué du serpent, mais il est mort le lendemain. Or comme on vendait ses habits aux enchères, un autre homme a acheté ses bottes et il est mort en vingt-quatre heures, avec les jambes gonflées. Alors on a examiné les bottes et on y a trouvé plantée la pointe de la dent, fine comme une aiguille. Ce qui a bien montré que ces jararacas ont le poison dans les dents.» Je me demande si cette histoire est véridique ou s’il faut en douter.

vendredi 18 juillet 2025

Vylan

    Bel étalage d’arrogance haineuse que cette scène où l’on voit Bob Vylan (huhu) interpréter au festival de Glastonbury, à la fin du mois dernier, son tube I heard you want your country back, dont les paroles sont des variations sur le thème : J’ai entendu dire que tu veux récupérer ton pays / Ferme ta gueule / C’est pas possible. Le détail frappant est que ces propos peu aimables sont adressés par un homme de couleur à un public essentiellement blanc, qui applaudit. Une foule de lemmings masochistes qui paye pour se faire cracher à la gueule, c’est une assez bonne allégorie du suicide de l’Occident.

jeudi 17 juillet 2025

adresses

    Les morts ne disparaissent pas de mon carnet d’adresses. Je n’aurais pas le coeur de les en supprimer. J’efface le téléphone et le mail, qui ne serviront plus, mais je conserve le nom et l’adresse, pour sait-on jamais une enquête, un pèlerinage, le souvenir. Mon carnet d’adresses est un simple fichier d’ordi, j’y entre les personnes dans l’ordre alphabétique du prénom, une ligne chaque, deux trois si besoin. Outre le prénom et le nom, je peux noter l’adresse, le mail, le téléphone, parfois une seule de ces infos. A l’occasion je note aussi d’autres détails, le pseudonyme éventuel, quelquefois le prénom du conjoint ou des enfants, pour n’être pris au dépourvu si c’est eux qui répondent. Risque faible car j’appelle rarement, étant terrifié par le téléphone, sauf avec vraiment les proches, et j’en ai si peu. Souvent j’entre les artisans au métier, je le retiens plus facilement que leur nom, Bûcheron Untel, Jardinier Untel, Maçon Untel, etc. J’insère aussi dans l’ordre alpha les institutions, et maintenant les sites, pour retrouver mes identifiants et mots de passe. Ce carnet virtuel me rend bien des services.

dimanche 13 juillet 2025

vie

    Un trait commun aux grandes religions traditionnelles et aux nouvelles religions idéologiques consiste en cet acharnement à démontrer, contre toute évidence, que la vie est belle et qu’elle a un sens.

vendredi 11 juillet 2025

proportion

    Je n'ai déjà plus entre les mains le bon livre de Juan Rufo, mais il me revient que le préfacier Alberto Blecua, évoquant l'importance du jeu dans la vie de l'écrivain et les ennuis que cette addiction lui avait valus, signalait que cela se reflétait dans ses sept-cent-sept apophtegmes, dont parait-il environ dix pour cent abordent le sujet. Et il m'amuse de constater que, par pure coïncidence, la proportion s'est maintenue dans ma Lettre documentaire, où exactement deux des paragraphes (77 & 211), sur les vingt traduits, évoquent le jeu.

jeudi 10 juillet 2025

Rufo

L’écrivain et militaire Juan Rufo (1547-1620) naquit et mourut à Cordoue, mais vécut aussi ailleurs en Espagne et en Europe. On sait qu’il avait la passion du jeu. Il reste connu principalement pour deux oeuvres littéraires : un poème épique, La Austríada (1584) et un recueil d’anecdotes et de traits d’esprit, Las seiscientas apotegmas (1599). J’ai eu l’occasion de feuilleter cette intéressante somme de «six cents apophtegmes», en fait au nombre de 707, dans l’édition des Clásicos castellanos (1972). Ce sont des textes brefs, longs de deux lignes à une demi-page, dans lesquels l’auteur, 
parlant de lui à la troisième personne, se cite lui-même. Il y rapporte les bons mots, les répliques qu’il a donnés en telle ou telle circonstance. L’essentiel de l’ouvrage est en prose, avec aussi quelques vers çà et là. Les nombreuses anecdotes où est dépeinte la vie quotidienne de l’époque, m’ont fait penser aux historiettes de Tallemant des Réaux, à ceci près que Tallemant parlait des autres, quand Rufo se met lui-même en scène. Pour divertir mes lecteurs, je me suis aventuré à traduire une vingtaine des apophtegmes de Juan Rufo, parmi les plus brefs, dans ma Lettre documentaire 529.

apophtegmes

Lettre documentaire n° 529

VINGT APOPHTEGMES de Juan Rufo (1599) 
choisis et ici traduits par Philippe Billé 

23. Un vieil homme lui dit qu’il ne savait pas pourquoi la Nature donnait des cheveux blancs aux hommes plus qu’à tous les animaux. Il répondit : «Pour hisser un drapeau blanc entre l’ardeur de la jeunesse et la prudence.»

77. Un homme pauvre demanda une petite pièce à un autre, qui gagnait au jeu, lequel non seulement ne la lui donna pas, mais lui dit très rudement d’aller voir en Guinée. Il lui dit : «Vous l’envoyez bien loin, et lui donnez si peu pour la route.»

78. Venant d’écouter un grand joueur de viole, mais qui n’avait guère de voix, il dit «qu’il avait fort bien mangé, mais qu’il était mort de soif».

158. Un homme, qui ne devait pas être très instruit, demanda «si Sénèque était de Cordoue». Il lui répondit : «Mais d’où voulez-vous qu’il fût ?»

186. Traversant la Catalogne, et voyant quelques arbres où se trouvaient pendus des corps et beaucoup de squelettes, il dit «qu’ils étaient plus fructifères que ceux des coteaux de Plasencia».

211. Ayant perdu tout son argent, il sortit seul du corps de garde, alors que les fois où il gagnait, il était fort accompagné. Croisant un soldat, qui lui demanda comment ça s’était passé, il lui répondit : «Demandez-le à ceux qui m’accompagnent.»

235. Venant d’assister à une comédie, comme on lui demandait comment il l’avait trouvée, il dit : «C’est un portrait de Judas, qui vécut apôtre et mourut démon.» Il dit cela parce que la farce était bonne mais finissait mal.

281. A une belle dame, qui ne semblait pas mal voir, mais arborait un face-à-main, il dit : «D’autres s’en servent pour mieux voir, et vous, Madame, pour être mieux vue.»

349. Certain ivrogne s’étant noyé en nageant dans le Guadalquivir, il dit : «Cet homme a fini par mourir entre les mains de son pire ennemi.»

404. Certains gentilshommes donnèrent à une femme huit coups de poignard, voulant la tuer pour qu’elle ne dévoile pas un secret important. Mais comme elle survécut et le racontait à tout le monde, il dit : «Pour faire garder à cette femme une bouche close, ils lui en ont ouvert huit de plus.»

491. Des amis, gens de très bon goût, repartaient de chez lui, et comme, en prenant congé, ils lui demandaient quand il voulait qu’ils se revoient, il répondit : «Toujours».

536. Un ami lui conseillait de retourner à Cordoue, car après tout c’était sa patrie, il s’y trouverait mieux qu’en terre étrangère. Il répondit : «L’homme pauvre est toujours en terre étrangère.»

555. Il dit que se teindre les cheveux blancs, c’est comme porter une barbe postiche.

575. Comme la messe commençait, lui et un ami se trouvaient si loin de l’autel, qu’ils ne pouvaient rien entendre. Lorsque l’autre se mit à avancer vers l’autel, en lui disant «Gagnons du terrain», il répondit : «Et du ciel.»

588. Les hôtes, il dit «qu’ils étaient comme les oeufs : quand ils sont frais, un aliment sain et délicieux, mais quand ils ne le sont plus, personne ne les supporte».

593. Il dit aussi «que la beauté sans honnêteté, c’est comme un jardin sans eau, ou comme des fleurs piétinées».

617. Deux frères presque du même âge étaient si inégaux de corps, qu’ils ne semblaient pas frères, et comme on lui disait qu’ils étaient fils d’un même père, il répondit : «qu’on aurait plutôt dit des doigts d’une même main».

647. Il dit «que le monde est une prison ; la naissance, une condamnation à mort ; et la vie, des heures comptées.»

648. Et une autre fois, «que la vie n’est rien d’autre qu’une étude des façons de bien ou mal mourir.»

693. De deux sortes de personnes il disait «qu’il ferait beaucoup, celui qui les consolerait : le riche se voyant mourir, et la belle femme se faisant vieille.»

mardi 8 juillet 2025

garde

PAGE DE GARDES

garde alternée

garde-barrière

garde-boue

garde champêtre

garde-chasse

garde-chiourme

garde-corps

garde-côte

garde forestier

garde-fou

garde impériale

garde-manger

garde-meuble

garde nationale

garde partagée

garde prétorienne

garde rapprochée

garde républicaine

garde-robe

garde rouge

garde suisse

lundi 7 juillet 2025

Ama

Emprunté une bédé à Villeneuve, ça faisait longtemps : Ama Le souffle des femmes, scénario Franck Manguin, dessin Cécile Becq (Editions Sarbacane, Paris, 2020). C’est l’histoire d’une jeune femme de Tokyo quittant sa famille pour aller s’installer chez sa tante rurale et rustique, sur une petite ile où elle s’initie au rude métier de pêcheuse d’ormeaux. Ce n’est pas mal dessiné mais l’ouvrage vaut surtout par ses enseignements sur la culture japonaise, et sur la nature humaine en général. Je ressors de cette lecture convaincu que les femmes sont des êtres sympathiques, énergiques, solidaires et sensibles, alors que les hommes, sauf exception, sont des sales types, au mieux des pauvres types. Le sous-titre aurait dû m’alerter.

dimanche 6 juillet 2025

Perses

    Encore une pièce de théâtre tirée d’une boite à livres, cette fois-ci Les Perses, d’Eschyle, dans une vieille petite édition des Classiques pour tous (Librairie Hatier, 1946). Le fantôme de Darius et son épouse se lamentent sur la pâtée impériale que s’est prise leur fils Xerxès à la bataille navale de Salamine, où il était allé souffler dans le nez des Grecs, et les choeurs ne leur remontent pas le moral. S’agissant d’une traduction en prose, du reste élégante (par Charles Georgin), je ne peux juger du style de l’auteur. Le texte est encore plus ennuyeux que du Yasmina Reza, mais il a pour lui sa dignité d’oeuvre antique, ayant traversé les millénaires. Une image m’a plu : Hélas! hélas! les cadavres de nos amis, leurs membres tout pénétrés d’eau salée, sont donc ballottés, errants, au milieu des écueils…

vendredi 4 juillet 2025

néomots

    Mes néomots de ces derniers temps : charenté, tourmentir, vitraillette.

jeudi 3 juillet 2025

changement

Lettre documentaire n° 528

TOUT CHANGE, SANS CESSE.

Anthologie en kit (à compléter) d’auteurs exprimant cette idée.


    Héraclite : «On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.»

    Marc-Aurèle : «Tout est en train de se transformer.» (Pensées, IX, 19).

    Montaigne : «Le monde n’est qu’une branloire pérenne. Toutes les choses y branlent sans cesse … La constance même n’est autre chose qu’un branle plus languissant.» (Essais, III, 2, Du repentir).

    António Vieira : « Tout ce qui est dans ce monde, n’y est qu’un instant. Ce qui fut, n’est plus ; ce qui va être, n’est pas encore ; et ce qui est, n’est qu’à l’instant présent. » (Sermon du premier dimanche de Carême, 1655, in 501 pensamentos do Pe Vieira, São Paulo, 2001, n° 9).

    Rousseau : « Tout est dans un flux continuel sur la terre » est repris plus loin : « Tout est sur la terre dans un flux continuel qui ne permet à rien d’y prendre une forme constante. Tout change autour de nous. Nous changeons nous-mêmes… » dans Les rêveries du promeneur solitaire (posthume, 1782, promenades V et IX). 

    Herder dans Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit, (1784, I, 4), soit Idées pour la philosophie de l’histoire dans l’humanité, telles que traduites de l’allemand par Edgar Quinet en 1827 :  « Tout est changement sur notre terre … Pendant que la sphère tourne, les peuples tournent avec elles… » ou citées  par le comte Joseph de Maistre en 1857 à la page 150 de ses Lettres à un gentilhomme russe sur l’Inquisition espagnole : «Tout sur notre globe, n’est que roue et changement … Les virevoltes d’une boule sont l’image de tout ce qui se passe sur notre terre.» ou encore traduites en 1962 par Max Rouché dans la Collection bilingue des classiques étrangers : «De même que la sphère tourne, tournent aussi à sa surface les têtes et les climats, les moeurs et les religions comme les coeurs et les costumes.»

mercredi 2 juillet 2025

Reza

    Ayant trouvé dans une boite à livres la plus célèbre pièce, «Art», de la célèbre écrivaine Yasmina Reza, j’ai passé, peut-être perdu, un moment à la lire. Cela raconte sur quelques soirées les chamailleries de trois amis dont le plus riche, Serge, dermatologue et amateur d’art contemporain, vient de payer une fortune pour s’offrir un tableau intrigant, grand rectangle blanc parcouru de lignes blanchâtres. Son ami Marc, ingénieur, également friqué mais de goût plus classique, est scandalisé par cette dépense pour une oeuvre qu’il juge sans valeur et qu’il qualifie de «merde». Le troisième homme, Yvan, simple représentant, et d’un naturel conciliant, adopte un point de vue intermédiaire. La dispute dérive par moments sur des questions personnelles secondaires. Cette comédie ne m’a pas beaucoup intéressé mais il parait qu’elle a obtenu un grand succès depuis sa création en 1994, ayant été plusieurs fois mise en scène, avec de bons acteurs, primée, et traduite dans trente-cinq langues. Sans doute présente-t-elle au public un miroir dans lequel il reconnait les questions que tout le monde s’est posées un jour ou l’autre, sur le thème L’art contemporain est-il de l’esbroufe ? Pour ma part, je ne me retrouve pas bien dans ce questionnement, étant habitué à voir dans l’art contemporain, y compris dans les avant-gardes les plus extrêmes, aussi bien des oeuvres que je prise et d’autres que je méprise. Quant à la dépense, ma foi, je suis d’avis que chacun a le droit d’user de ses avoirs comme il lui plait. J’aurai bien sûr plus d’estime pour quelqu’un qui dépense avec discernement, mais si un riche imbécile veut gaspiller sa fortune, je n’y vois aucun inconvénient. J’y verrais même l’avantage, selon la théorie du ruissellement, que ce serait là autant de bien diffusé dans le corps social. La question qui me parait plus discutable, touchant l’art contemporain, est celle des subventions publiques, dont la pièce ne dit rien. Qu’un particulier jette son argent par les fenêtres, n’importe, mais je suis très tatillon sur l’emploi de l’argent du contribuable.

mardi 1 juillet 2025

promotion

    Je doute qu’aucun universitaire ait jamais le courage ou l’autorisation de consacrer ses recherches aux processus de promotion sociale par la coucherie. Je crois qu’une telle étude établirait que ce favoritisme a profité aux femmes et aux homosexuels, plus souvent qu’aux hommes hétérosexuels.

lundi 30 juin 2025

Zulmira

    Les Máximas inéditas de Tia Zulmira (Editora Codecri, Rio de Janeiro, 1976) sont une oeuvre du journaliste et humoriste brésilien Sérgio Porto (1923-1968) parue posthumément sous son pseudonyme Stanislaw Ponte Preta. J’ai lu en entier ce mince volume sans y trouver une seule maxime à mon goût. On y remarque au mieux quelques définitions métaphoriques à la Gómez de la Serna, ainsi (je traduis) «Le colibri est l’hélicoptère de Dieu» (p 55) ou «Le pharmacien est le sergent de la médecine» (p 73). Le reste est ricanement soixante-huitard (genre «Le policier est toujours suspect», p 48) sans grand intérêt.

dimanche 29 juin 2025

Sagan

    Il est toujours délicat de parler d’un livre qui vous a plu un peu mais sans plus, ainsi du Avec mon meilleur souvenir, de Françoise Sagan (Gallimard, 1984). N’étant guère porté sur la fiction et n’ayant jamais lu de roman de Sagan, je gardais depuis quelques mois sous le coude ce recueil de fragments autobiographiques, légué je crois par Fred R. Le volume est solidement charpenté en dix chapitres, dont cinq portant sur des artistes que l’auteuse a connus (B Holiday, T Williams, O Welles, R Noureev, J-P Sartre), alternant avec cinq autres sur divers sujets (Le jeu, La vitesse, Le théâtre, Saint-Tropez, Lectures). On y retrouve plus en détail ce que la rumeur nous avait déjà vaguement fait savoir sur le personnage de cette écrivaine joueuse, bohème, bambocheuse, etc. Son univers ne m’attire guère mais le texte se laisse lire parce qu’il est écrit avec soin, sans façons (on ne compte pas les formules du genre C’était en telle ou telle année, je ne sais plus bien) et semble-t-il avec sincérité. Sagan a quand même réussi à m’attendrir momentanément sur le vieux Sartre presque aveugle, qu’elle aide à manger au restaurant, ce n’est pas rien.

vendredi 27 juin 2025

Madrid

    Avec un peu de retard, j'ai déposé sur Facebook un album réunissant une vingtaine de photos prises durant mon séjour à Madrid le mois dernier. Voir ici.

lundi 23 juin 2025

Vilain

    Ayant lu par hasard il y a quelques mois et n’ayant pas détesté le petit livre Le jeune homme, dans lequel Annie Ernaux raconte sa liaison pendant un lustre avec un homme beaucoup plus jeune qu’elle, puis ayant appris que celui-ci, Philippe Vilain, venait à son tour de publier un ouvrage où il expose sa version des faits, Mauvais élève (R Laffont, 2025), j’étais curieux de le lire et je viens de l’emprunter. A cette occasion j’apprends qu’en fait l’écrivaine a évoqué l’idylle dans deux autres livres, et que de même l’ancien amant l’a déjà représentée dans deux romans avant de publier cet essai autobiographique. A vrai dire Annie Ernaux n’apparait qu’au bout d’une centaine de pages, dans ce récit plus globalement consacré à décrire la métamorphose intellectuelle de l’auteur depuis son adolescence. Au départ marginal délinquant illettré, fils de prolo alcoolique, il a peu à peu pris goût aux études et à la littérature, notamment sous l’influence de cette maitresse providentielle, à laquelle il a fini par consacrer une thèse de doctorat. Je dois avouer que ce livre m’a un peu déçu, je l’ai trouvé intéressant mais souvent ennuyeux, notamment dans cette première centaine de pages que je n’ai pu lire avec soin, me contentant de la survoler. On est content pour lui que l’auteur ait appris à écrire correctement, mais cela ne suffit pas à produire un texte captivant. Il faut dire que non seulement la matière (une existence médiocre dans un milieu médiocre) est ingrate, mais qu’en outre elle est traitée sur le ton besogneux de la soso, la sociologie socialiste. C’est qu’Annie comme Philippe, et celui-ci sans doute à cause de celle-là, sont imbibés d’idéologie balourde, fiers de défiler avec Krivine et Laguiller ou de «tuteurer un sans-papier algérien désireux de se marier avec une Française» (page 161). Obsédés par la classe sociale, ils voient partout du privilège et de l’oppression, de l’héritage et de la distinction. Ils vivent dans un monde sans surprise, où tout est déterminé, et voient les gens autour d’eux comme des personnages pour lesquels, dirait Davila, «la psychologie est de trop, la sociologie suffit». Fort heureusement la vie réelle ne se déroule pas exactement comme dans les bourdieuseries et Vilain admet que sa propre trajectoire est un contre-exemple du déterminisme marxiste. Dans l’analyse de ses rapports avec Annie, il observe au moins deux malentendus. D’une part elle prétend retrouver en lui son modeste milieu d’origine, mais lui voit bien qu’elle est issue d’un milieu pas si modeste que ça, et socialement supérieur au sous-prolétariat dont lui procède (« nous ne provenions pas du même milieu modeste … Un monde séparait nos milieux modestes », 120-121). D’autre part il pense qu’ils étaient attachés l’un à l’autre de façon asymétrique, par des penchants différents («je devinais que le passionné de littérature que j’étais l’attirait moins que mon corps», 115). En tout cas elle semble avoir été très amoureuse, et l’être restée y compris après avoir rompu avec lui. La seule scène vraiment émouvante du livre est celle où, un an après la séparation, elle demande à le revoir et tente de renouer (223 sq). Mais c’est trop tard, car il est maintenant engagé dans une autre relation, et elle a du mal à l’accepter. Accessoirement je me suis trouvé un petit sujet de méditation à un moment où l’auteur, pour montrer qu’Annie est sérieusement embourgeoisée, évoque le rituel compliqué des repas : «j’étais chargé de dresser la table, d’allumer les chandelles, de choisir la musique classique qui servirait de fond sonore, et je me trompais toujours de côté en plaçant les couverts, je confondais les fourchettes à entrée avec celles à plat ou à dessert, les couteaux, les cuillères, les multiples verres, les assiettes … » (164-165). Pour ma part je me dis que si vraiment c’est un privilège, que d’avoir à se colleter avec de multiples verres et couverts, j’aime autant m'en passer… 

dimanche 22 juin 2025

abc

VITAMINE A

Poème-liste, sur une idée

de Christophe Petchanatz


Vitamine A

Plan B

Vitamine C

Système D

Vitamine E

Point G

Heure H

Génération I

Jour J

Vitamine K

Taille L

Taille M

Quantité N

Groupe O

Point P

Source Q

Valeur R

Taille S

Ford T

Super U

Rayon X

Chromosome Y

Série Z

samedi 21 juin 2025

Angérien

    Mais je ne dois pas trop me plaindre de la bonne ville de Saint-Jean d'Angély, où l'hebdo L'Angérien libre me gratifie encore d'un copieux article du correspondant local Philippe Tumo, sur cinq colonnes s'il vous plait, à l'occasion de ma réédition du Voyage de Jean Mocquet en Andalousie. Il m'intéresserait de toucher ainsi le public local, à qui je peux vendre de la main à la main sans être soumis au racket postal. Nous verrons ce qu'il en est...

vendredi 20 juin 2025

ophtalmo

    Il y avait longtemps que je n’avais eu affaire à notre remarquable service public de Santé, que le Tiers-Monde entier nous envie. Quand on en a besoin, on est rarement déçu. Ma vue baisse et il faudrait que je consulte. L’autre matin j’appelle l’hôpital. On me passe le service d’ophtalmologie, où une dame excédée me dit qu’elle ne m’entend pas car il y a trop de monde et de bruit dans son bureau, et qu’il faut que je rappelle plus tard. Je rappelle l’hôpital en début d’après-midi. La standardiste m’informe alors qu’aucun appel n’est transmis l’après-midi. Je commence à pressentir que je n’ai pas le cul sorti des ronces. Le lendemain matin, je rappelle l’hôpital. La standardiste me repasse le service d’ophtalmo, où le téléphone sonne indéfiniment sans que personne réponde. Je raccroche et rappelle la standardiste, qui cette fois a l’idée de m’informer du numéro où je peux appeler le service directement. Je le fais. Personne ne répond. Je le refais un peu plus tard. Toujours pareil. A la troisième tentative une dame décroche et me prie d’attendre. Je l’entends discuter avec des patients, fixer des rendez-vous. Enfin elle revient me demander ce que je veux. Un rendez-vous pour consulter. Il y en a de deux sortes, m’explique-t-elle : des rendez-vous privés pour lesquels il faut payer un supplément, et des publics mais pour ceux-ci tout est complet jusqu’à fin août. Eh bien, lui dis-je, donnez-moi un rendez-vous en septembre. C’est impossible, elle n’a pas encore le planning pour cette période. Rappelez plus tard. Quand ça ? A la mi-août, me dit-elle. Bon. Nous verrons. Je soupçonne qu’à ce moment-là il me faudra encore appeler dix fois avant de m’entendre dire que tout est complet jusqu’à la fin de l’année. Un jour, je consulterai peut-être un ophtalmologue. Et ce sera peut-être à l’hôpital de cette belle ville. Mais pour l’instant, rien n’est assuré.

jeudi 19 juin 2025

Eno

Mon compositeur bien-aimé Brian Eno a réalisé cette année deux albums en collaboration avec une certaine Beatie Wolfe. Ce sont en quelque sorte des disques jumeaux, semblables par leur titre et par leur habillage. Dans l’un d’eux, Lateral, tous les morceaux s’intitulent Big empty country (I, II, III etc). Ils se ressemblent et se succèdent comme une seule longue oeuvre quasiment ininterrompue. C’est de la bonne vieille ambient music, pas très différente des précédentes productions d’Eno, et pas désagréable. L’autre album, Luminal, est composé de grandes chansons mollasses que je n’ai pas écoutées jusqu’au bout.

mercredi 18 juin 2025

index

    Parcourant l’index de mon Journal, que je viens de mettre à jour, je remarque cette bizarre succession d’entrées, à la fin de la lettre P : Punk … Purisme … Putes … Quel éclectisme !

mardi 17 juin 2025

anti-fascisme

    Curieuse évolution du vocabulaire politique, si l’on en juge par exemple aux campagnes répétées de «barrage anti-populiste» en France, à la mauvaise réputation des référendums, ou à l’opposition virulente à l’élection de Donald Trump en Amérique : être «fasciste», aujourd’hui, consiste à accepter la volonté majoritaire exprimée par le suffrage universel, être «anti-fasciste» consiste à la refuser…

lundi 16 juin 2025

dimanche 15 juin 2025

entomologie

    L’existence indéniable d’un capitalisme sauvage, n’empêche aucunement l’existence d’un capitalisme civilisé. Et la possibilité d’un socialisme convenable ne doit pas faire oublier les horreurs du socialisme barbare.

samedi 14 juin 2025

lecture


Ce soir à partir de 17 h 30 je participerai à une séance de lecture en public 
sur le thème de la correspondance, au Moulin à café, le café associatif de Doeuil sur le Mignon. Je lirai une lettre du prince de Ligne à Jean-Jacques Rousseau datée de 1770. L'auteur y propose gentiment au philosophe de l'héberger.

vendredi 13 juin 2025

guerre

    L’écrivain colombien Orlando Mejía Rivera a publié en 1998? un roman au beau titre, Pensamientos de guerra, qui a été traduit en français en 2004 (Pensées de guerre, chez Mille et une nuits). La bibli disposait des deux versions mais je me suis paresseusement contenté de lire la française. Ce livre m’a beaucoup plu dans les premières pages et beaucoup moins par la suite. Cela commence bien : un professeur de philosophie, spécialiste de Ludwig Wittgenstein, enlevé en plein cours dans une université, est emmené à travers la montagne et la jungle, les poings liés et les yeux bandés, conduit par des rebelles qui l’injurient et le rudoient. Après quoi ses ravisseurs le jettent dans une fosse d’un mètre de large sur trois de profondeur, où il sombre dans la déchéance physique et mentale. Son séjour souterrain est décrit sur huit chapitres, correspondant à huit jours consécutifs, et si j’ai bien compris à la fin il est mort. Il m’a paru invraisemblable qu’il garde tout le temps son bandeau sur les yeux, alors que cela ne sert plus à grand chose une fois qu’il est enfermé, il pourrait très bien se l’enlever lui-même, ou au moins le bandeau devrait finir par se desserrer et tomber tout seul. Au fond de son trou le protagoniste pense à son fils, à sa femme et à Wittgenstein. Les huit chapitres de la détention sont intercalés avec cinq chapitres qui se présentent comme un journal intime du philosophe autrichien gay mais triste pendant les années 1914 à 1918. Mobilisé sur le front, Ludwig craint de mourir, se lamente car il est séparé de son amant David, et rumine des méditations dont le sens m’échappe en partie. La représentation des états d’âme du philosophe et du professeur m’a paru plutôt ennuyeuse. A la fin celui-ci ne sait toujours pas par qui ni pourquoi il a été enlevé et nous non plus. C’est décevant.

jeudi 12 juin 2025

poteau

    Le jeune crétin qui a poignardé à mort une surveillante de collège, hier à Nogent, pour la bonne raison qu’il voulait « tuer une surveillante, n’importe laquelle », et n’a exprimé ensuite aucun regret, ne mérite-t-il pas simplement le poteau ?

mercredi 11 juin 2025

Sevilla

    Deux semaines après le lancement de ma livrette péninsulaire, le Voyage de Jean Mocquet en Andalousie (voir ici), force est de constater qu’il s’agit là d’un non-événement assez réussi, probablement le flop le plus parfait de ma carrière d’éditeur. Mon histoire d'anti-héros n'obtient qu'un anti-succès. A ce jour mes ventes se comptent sur les doigts d’une main, guère plus. Je n’ai pas su trouver le sujet qui emballe. Tant pis. Cet opuscule me plait bien, c’est l’essentiel. Il était un des deux projets auxquels j’ai travaillé parallèlement cet hiver, l’autre étant la causerie sur les vitraux que j’ai donnée en mars. La publication de ce récit de voyage aurait également pu se faire plus tôt mais a été retardée par la recherche d’un imprimeur abordable. Résidant maintenant loin de la civilisation, j’ai d’abord prospecté auprès des entreprises locales. Les quatre devis que j’ai obtenus pour un tirage en cent exemplaires s’élevaient à 192, 264, 341 et 460 euros, ce qui même dans le meilleur des cas était trop cher pour moi. Finalement je me suis retourné vers une imprimerie institutionnelle de la Gironde lointaine, à qui j’avais déjà confié des travaux dans le passé. C’était moins commode à cause de la distance, mais leur tarif inférieur à cent euros était imbattable. A ce prix-là je pouvais m’offrir le plaisir de mettre au monde cette livrette à mon goût, même sans grand espoir de rentrer dans mes frais. Qui plus est, parmi la dizaine d’options du petit nuancier que l’on me proposait pour la couleur de couverture, figurait le jaune «Sevilla intense» au nom prédestiné. Les quelques dizaines d’heures consacrées à préparer le texte et les notes explicatives m’ont permis de passer de bons moments, et parfois de résoudre certains problèmes par des voies providentielles : telle dame, de mes correspondants sur Facebook, ne résidait-elle pas précisément à Cadix, d’où elle a pu me documenter sur tel bâtiment ancien ? et cet ornithologue néerlandais, avec qui j’avais été en contact il y a plus de vingt ans, n’était-il pas tout indiqué pour identifier le nom exact de tel port de Hollande ? Tout cela était bien aimable. Dans mon introduction, très factuelle, je n’ai pas évoqué deux questions que l’on peut se poser en lisant Mocquet, et que j’aborderai ici. D’une part, quelle était sa religion? Il a l’air de s’entendre avec les Hébreux, puisqu’il travaille un temps avec l’un d’eux, qui d’ailleurs l’héberge. Mais il semble ne pas s’étonner des mauvais traitements reçus de cet homme et de ses semblables. Il parait aussi impressionné, peut-être épouvanté, par des manifestations de catholiques fanatiques sur la voie publique. Peut-être était-il protestant, comme on a parfois suggéré. D’autre part, qu’en est-il de sa vie sensuelle ? Etait-il inverti ? C’est incertain mais vraisemblable : les personnages féminins sont quasi absents de son histoire et il fait état plusieurs fois de relations chaleureuses avec des gentilshommes. Mais il ne faut peut-être pas dépouiller ce récit des petits mystères, qui font partie de son charme.

lundi 9 juin 2025

street

Théoriquement, je suis pour toute liberté en art. Devant certains cas concrets, toutefois, j’hésite. Imaginez par exemple qu’un beau matin, vous ouvrez vos fenêtres et découvrez que sur le mur juste en face, le street artist Vincent Glowinski, alias Bonom, Révélation Art Urbain 2018, «l’artiste français qui envoûte les murs de Bruxelles» (France Info) a pris la liberté de peindre une énorme bite (le «pénis de Saint-Gilles») sans vous demander votre avis. Et vous allez maintenant avoir tous les jours cette énorme bouse picturale sous les yeux, ainsi que sous ceux de vos enfants et de vos visiteurs. Etes-vous en effet envoûté ou… Ainsi va la vie, tantôt on se sent d’humeur libérale, tantôt on a envie d’envoyer des baffes…
(Note inspirée par un article sur cette peinture datant de 2016, qui a été effacée deux ans après).

dimanche 8 juin 2025

filiation

    Chaque fois que je réfléchis à cette question, je me dis que je ne vois pas quel système de transmission du nom de famille des parents aux enfants peut ne pas privilégier un sexe ou l’autre. Comment réformer les actuels systèmes de filiation, autrement qu’en passant du patrilinéaire au matrilinéaire, ce qui ne reviendrait qu’à remplacer une injustice par une autre, symétrique ?

jeudi 5 juin 2025

fillette

    En rêve cette nuit j'étais bien embêté, d'avoir perdu dans la foule une petite fille que j'étais chargé de surveiller. J'avais fait sa connaissance peu avant en lui demandant : Quel âge as-tu ? - Cinq heures, m'avait-elle répondu.

mercredi 4 juin 2025

Pensées

Le procédé consistant à extraire des aphorismes qui se trouvaient insérés dans les textes d’un auteur peut paraitre discutable. Pour ma part je le trouve légitime et j’ai tiré profit de recueils d’aphorismes extraits par exemple des oeuvres de Pío Baroja (Lettre documentaire 352) ou de Machado de Assis (Ld 392). Dans le même genre je viens de lire le recueil de 501 pensamentos tirados dos Sermões do Padre Vieira (501 pensées extraites des Sermons du père Antônio Vieira (1608-1697) par le père Gerardo Cabada, sj, Edições Loyola, São Paulo, 2001). J’étais un peu déçu de n’y pas retrouver une fameuse citation du grand prédicateur luso-brésilien, lue je ne sais plus où et jamais oubliée : Le pire, dans les mauvaises habitudes, ce n’est pas qu’elles soient mauvaises, c’est que ce soient des habitudes (O pior, nos maus costumes, não é serem maus, é serem costumes) mais peut-être ne venait-elle pas d’un sermon. Un peu déçu aussi de la teneur assez banalement pieuse de la plupart de ces pensées, banalité que la rhétorique baroque de l’auteur ne suffit pas à rehausser. J’en ai quand même trouvé quelques unes assez à mon goût et j’en traduis onze dans ma Lettre documentaire n° 527.

Vieira

Lettre documentaire 527

ONZE PENSEES du père ANTONIO VIEIRA sj


extraites des 501 pensamentos tirados dos Sermões do Pe Vieira

par G Cabada (Edições Loyola, São Paulo, 2001)

ici traduites du portugais par Philippe Billé.

(On a conservé entre parenthèses leur numéro d’ordre, qui est aléatoire dans le livre, mais on les a replacées en ordre chronologique).


    (320) Là où l’envie règne, les vertus sont des péchés, les mérites sont des fautes, les oeuvres ou les bonnes qualités sont des crimes. - (Sermon du samedi précédant le dimanche de Rameaux, 1634).


    (74) La peste du gouvernement est l’irrésolution. - (Sermon de Saint Pierre, 1644).


    (415) Qui ne demande ne veut savoir, qui ne veut savoir veut se tromper. - (ibidem).


    (133) L’absence est une demi-mort, la prison une demi-sépulture. - (Sermon des obsèques de Dom Duarte, 1649).


    (431) Dans les maladies, le plus grand bienfait que puisse vous apporter qui vous aime, c’est d’être avec vous. - (Sermon de Saint Roch, 1649).


    (348) L’humilité, c’est essentiellement la conscience de sa propre dépendance, de sa propre imperfection, et de sa propre misère. - (Sermon du Mandat, 1655).


    (294) On dit qu’il faut se tenir avec le roi comme avec le feu : ni si près qu’il brûle, ni si loin qu’il ne réchauffe. Mais c’est tout le contraire. Le roi, il faut en être ou très proche ou très éloigné. - (Sermon du quatrième dimanche de Carême, 1657).


    (414) L’âme est comme le soleil, on ne peut la retrouver là où on l’a perdue, mais à l’opposé. Le soleil se perd au couchant mais si vous voulez le retrouver, il faut le chercher à l’orient. - (Sermon de Saint Antoine, 1657).


    (216) Les nations, certaines sont plus blanches, d’autres plus noires, parce que les unes sont plus proches, et les autres plus éloignées du soleil. Peut-il y avoir pire erreur de jugement parmi les hommes, que de croire que je doive être votre seigneur parce que je suis né plus loin du soleil, et que vous deviez être mon esclave parce que vous êtes né plus près ? - (Sermon de l’Epiphanie, 1662).


    (393) Sur la table où l’on joue beaucoup, il manquera bientôt de quoi manger. - (5e Sermon de Saint François-Xavier «éveillé», 1694).


    (392) Le médecin ne soigne pas la pourpre, ni la couronne, mais l’homme nu, le corps qui chez tous est fait de même. - (Sermon de saint Luc, sans date).