lundi 23 juin 2025

Vilain

    Ayant lu par hasard il y a quelques mois et n’ayant pas détesté le petit livre Le jeune homme, dans lequel Annie Ernaux raconte sa liaison pendant un lustre avec un homme beaucoup plus jeune qu’elle, puis ayant appris que celui-ci, Philippe Vilain, venait à son tour de publier un ouvrage où il expose sa version des faits, Mauvais élève (R Laffont, 2025), j’étais curieux de le lire et je viens de l’emprunter. A cette occasion j’apprends qu’en fait l’écrivaine a évoqué l’idylle dans deux autres livres, et que de même l’ancien amant l’a déjà représentée dans deux romans avant de publier cet essai autobiographique. A vrai dire Annie Ernaux n’apparait qu’au bout d’une centaine de pages, dans ce récit plus globalement consacré à décrire la métamorphose intellectuelle de l’auteur depuis son adolescence. Au départ marginal délinquant illettré, fils de prolo alcoolique, il a peu à peu pris goût aux études et à la littérature, notamment sous l’influence de cette maitresse providentielle, à laquelle il a fini par consacrer une thèse de doctorat. Je dois avouer que ce livre m’a un peu déçu, je l’ai trouvé intéressant mais souvent ennuyeux, notamment dans cette première centaine de pages que je n’ai pu lire avec soin, me contentant de la survoler. On est content pour lui que l’auteur ait appris à écrire correctement, mais cela ne suffit pas à produire un texte captivant. Il faut dire que non seulement la matière (une existence médiocre dans un milieu médiocre) est ingrate, mais qu’en outre elle est traitée sur le ton besogneux de la soso, la sociologie socialiste. C’est qu’Annie comme Philippe, et celui-ci sans doute à cause de celle-là, sont imbibés d’idéologie balourde, fiers de défiler avec Krivine et Laguiller ou de «tuteurer un sans-papier algérien désireux de se marier avec une Française» (page 161). Obsédés par la classe sociale, ils voient partout du privilège et de l’oppression, de l’héritage et de la distinction. Ils vivent dans un monde sans surprise, où tout est déterminisme, et voient les gens autour d’eux comme des personnages pour lesquels, dirait Davila, «la psychologie est de trop, la sociologie suffit». Fort heureusement la vie réelle ne se déroule pas exactement comme dans les bourdieuseries et Vilain admet que sa propre trajectoire est un contre-exemple du déterminisme marxiste. Dans l’analyse de ses rapports avec Annie, il observe au moins deux malentendus. D’une part elle prétend retrouver en lui son modeste milieu d’origine, mais lui voit bien qu’elle est issue d’un milieu pas si modeste que ça, et socialement supérieur au sous-prolétariat dont lui procède (« nous ne provenions pas du même milieu modeste … Un monde séparait nos milieux modestes », 120-121). D’autre part il pense qu’ils étaient attachés l’un à l’autre de façon asymétrique, par des penchants différents («je devinais que le passionné de littérature que j’étais l’attirait moins que mon corps», 115). En tout cas elle semble avoir été très amoureuse, et l’être restée y compris avoir avoir rompu avec lui. La seule scène vraiment émouvante du livre est celle où, un an après la séparation, elle demande à le revoir et tente de renouer (223 sq). Mais c’est trop tard, car il est maintenant engagé dans une autre relation, et elle a du mal à l’accepter. Accessoirement je me suis trouvé un petit sujet de méditation à un moment où l’auteur, pour montrer qu’Annie est sérieusement embourgeoisée, évoque le rituel compliqué des repas : «j’étais chargé de dresser la table, d’allumer les chandelles, de choisir la musique classique qui servirait de fond sonore, et je me trompais toujours de côté en plaçant les couverts, je confondais les fourchettes à entrée avec celles à plat ou à dessert, les couteaux, les cuillères, les multiples verres, les assiettes … » (164-165). Pour ma part je me dis que si vraiment c’est un privilège, que d’avoir à se colleter avec de multiples verres et couverts, j’aime autant m'en passer… 

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