jeudi 11 mai 2023

Karla

Une de mes traductions d’Al Ackerman (son Geeksville, Ld 94) ayant été reproduite par l’entremise de l’ami Q C dans le n° 1 de Poïjuku Tessy (Bruxelles, sans date mais récemment), j’ai feuilleté cette revue où beaucoup de choses m’ont laissé indécis, à commencer par son titre incompréhensible, mais mon attention a été tout de suite retenue par une dizaine de pages où sont reprises des planches d’Anti Baby, une bande dessinée de Karla Paloma. On trouve peu d’informations en ligne sur l'artiste mais on apprend que son nom serait en partie un pseudonyme, qu’elle serait danoise, née en 1983, et qu'elle vit à Berlin. On y trouve aussi le moyen de se procurer ses œuvres (livrets et sérigraphies) et c’est ainsi que j’ai fait l’acquisition de trois de ses comics. Je ne les ai pas choisis tout à fait au hasard mais parce qu’ils figuraient en tête du catalogue, parce que j’en avais vu des extraits çà et là, et qu’ils semblaient présenter une unité de thème. Ce sont des livrettes auto-produites, de format A5 archétypique, avec couverture en couleurs et intérieur en noir et blanc, racontant des anecdotes inspirées par le vécu de l’artiste dans la bohème berlinoise. Ce milieu ne m’attire pas particulièrement mais j’ai lu ces aventures avec grand plaisir, en n'arrêtant de sourire que pour éclater franchement de rire. Burned meat (2019, 40 p) raconte «ce qui arrive quand vous laissez votre fille de dix ans venir passer Noël à Berlin avec moi.» La petite Danoise est accueillie par Karla, alors seule en compagnie de son propre chien et de celui de son ami italien parti en voyage. Le séjour est un désastre, Karla n’ayant guère les vertus d’une bonne ménagère : elle fait brûler tout ce qu’elle veut faire cuire (d’où le titre), son frigo est vide, elle entraîne la fillette à voler au supermarché et lui fait boire de l’alcool. Le chien italien, boulimique, goinfre un canard carbonisé, passe plusieurs planches vautré les pattes en l’air devant le canapé et finit par asphyxier l’invitée avec ses flatulences. Je ne raconte pas tout. Dans Anti Baby (2020, 48 p) Karla râle parce que son ex-amant italien et toujours colocataire ne fiche rien ni ne paye son loyer, et parce que ses meilleures amies tombent enceintes, alors qu’elle-même n’a aucun goût pour la maternité. Elle part se changer les idées au Danemark, mais là-bas aussi toutes les filles de son âge ont des bébés sur les bras. Enfin dans Rat testicles (2022, environ 70 p) Karla s’ennuie et se gèle à tenir un stand de bijoux en toc dans un marché, où elle tombe amoureuse d’un autre marchand, artiste latino-américain avec qui les choses ne vont pas se passer aussi simplement. Ces histoires germaniques sont racontées dans un anglais parfois irrégulier mais toujours clair, avec çà et là quelques réparties en espagnol ou en allemand. Toutes les planches présentent la même mise en forme minimale, une division en six cases séparées non par un espace mais par un simple trait. Le dessin est basique mais efficace, avec une grande habileté à rendre l’expression faciale. Au contraire des autres personnages, le visage de Karla semble toujours être plus ou moins de profil, avec la bouche et le nez décentrés à la Picasso. L’homonymie de l’héroïne et de la dessinatrice laisse supposer l’inspiration autobiographique des récits. Il y a du genre picaresque dans ces histoires de marginaux tirant le diable par la queue, mais aussi par moments du conte licencieux, et une part de fantastique : par exemple les chiens parlent et s’entretiennent avec les humains, et par endroits le récit factuel cède la place à la rêverie. Ces petits ouvrages sont vraiment drôles et bien faits, leur charme tient à l’habileté de la narration, comme à la candeur de l’héroïne.

Liens utiles :
- le catalogue de l'artiste chez bigcartel
- quelques aperçus de ses oeuvres
- les premières pages d'Anti Baby

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