J’ai lu avec plaisir la bandessinée Nieve en los bolsillos («De la neige dans les poches») du dessinateur barcelonais Kim (Joaquim Aubert Puigarnau) parue en 2018. Moins appuyée idéologiquement que d’autres œuvres de l’artiste, c’est une histoire autobiographique dans laquelle Joaquín (il écrivait alors son prénom à l’espagnole) raconte le voyage de quelques mois qu’il a fait en Allemagne de l’Ouest d’octobre 1963 à mars 1964, pour prendre des vacances avant d’accomplir son service militaire. Ce sont là de rudes vacances, dans un pays où il fait bientôt grand froid. Le protagoniste se déplace en auto-stop, erre de ville en ville, exécutant à l’occasion de petits boulots. Assez vite il trouve à s’installer dans une sorte de pension pour travailleurs émigrés, la plupart espagnols, où faute de chambre libre on l’héberge dans un sous-sol. Il aménage son studio avec des meubles de fortune et le décore si bien que le local devient une sorte de club où ses camarades viennent passer des soirées à boire et à manger, chanter et discuter. Le directeur de l’établissement, sachant que le jeune homme étudie les beaux-arts, met gentiment à sa disposition du matériel et des fournitures qui trainaient dans les greniers. Au récit picaresque du touriste désargenté s’ajoutent les intéressants récits secondaires des personnages dont il fait connaissance, notamment les compatriotes qui lui racontent les drames personnels les ayant poussés à venir en Allemagne. Le protagoniste est naturellement antifasciste, mais c’est un antifasciste à visage humain, il avoue éprouver de la peine quand un compatriote phalangiste est obligé de quitter la pension parce que les gentils travailleurs de gauche lui rendent la vie impossible. Autre curiosité, l’auteur n’a pas l’air anti-clérical : il s’émerveille en passant devant la cathédrale de Cologne, s’exerce à l’occasion sur des sujets religieux (il sculpte une Vierge en bois et peint le portrait d’une nonne morte) et les prêtres qu’il représente sont bienveillants (celui qui aide un déserteur à quitter l’Espagne, celui qui permet une fête réunissant émigrés et émigrées, l’évêque qui lui achète ledit portrait). Enfin, Kim n’a pas eu l’émigration maussade, il ne se plaint pas du pays d’accueil, au contraire beaucoup des Allemands qu’il croise sont attentionnés et aimables. Ce long album de près de deux cents pages est assez captivant, je le recommande. Il a été traduit en 2019, paraît-il, sous le titre Un rêve d’ailleurs.
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