Hier matin j’ai pris mon huitième lérot depuis le début du printemps. Très excité comme les trois précédents, bondissant dans la cage, roulant des yeux. Les deux premiers au contraire étaient amorphes, prostrés, peut-être épuisés par les vains efforts pour sortir du piège. D’autant que je travaillais encore et que quand je les découvrais en arrivant, ils pouvaient avoir déjà passé plusieurs jours en prison. Quand je suis là, je repère la capture au bruit qu’ils font dans la nasse métallique, qui résonne sur le plancher du grenier. Si c’est le soir ou la nuit, pour pouvoir dormir je monte la chercher et je la descends dans le chai, le monde du silence. Au petit matin je déporte la bête au bois de Volebière, à deux kilomètres. J’imagine les émotions du petit mammifère : l’arrivée du geôlier qui soulève la cage, la sortie dans le jardin, la montée en voiture, le ronronnement du moteur, l’auto-radio. Ici je ne reçois pas Radio Classique, ils doivent se contenter de France Musique. Une fois sur place je dispose la cage au pied d’un chêne ou d'un érable et j’ouvre la porte. Quand ils réalisent qu’ils peuvent sortir, ce qui n’est pas toujours immédiat, ils grimpent à toute vitesse sur le tronc et en quelques secondes sont hors de ma vue. Une fois l’un d’eux s’est arrêté à deux ou trois mètres de haut, s’est retourné et m’a dévisagé un instant avant de repartir. La prise la plus curieuse fut celle de la nuit du 13 au 14 juillet, quand je me suis exilé de la ville. J’en avais pris deux à la fois. Plutôt menus, sans doute des jeunes, peut-être deux frères. Quand je suis allé les chercher au lever du jour, j’ai eu la surprise de les trouver endormis roulés en boule, pelotonnés l’un contre l’autre. Je ne voulais pas les déranger, je suis allé m’occuper d’autre chose pendant une heure, mais à mon retour ils n’étaient toujours pas réveillés. J’ai secoué un peu la cage, rien n’y faisait. Ils montraient ce que veut dire dormir comme un loir. J’ai décidé de les emmener quand même, mais rien ne les a tirés du sommeil, ni le transport, ni le moteur, ni France Musique, ni l’ouverture de la cage. J’avais beau la secouer pour les faire sortir, ils s’accrochaient instinctivement au grillage avec leurs petites griffes, tout en continuant à dormir. Je suis allé faire un tour dans le bois. A mon retour l’un d’eux roupillait encore, l’autre était sorti mais restait sur le toit de la cage, l’air groggy. Je les ai laissés, je ne suis revenu que le lendemain chercher la cage vide. Je me demande si tous les lérots que je relâche dans ce bois se retrouvent entre eux. Peut-être forment-ils un quilombo de lérots marrons. En tout cas ils ne jouent pas de tam-tam, c'est un avantage.
Dans le jardin ces derniers jours il y a un nouvel oiseau, que je ne connaissais pas. En cherchant à l’identifier dans les livres, je me dis que ce doit être une femelle de gobemouche noir. La gorge blanche, un trait blanc à l’aile, mais le reste du plumage gris. Une jolie petite bête, je lui accorde volontiers un permis de séjour.
Très beau texte, qu'on lit en souriant
RépondreSupprimerOui bo txt
RépondreSupprimer