Hier j’ai passé l’après-midi à feuilleter, à lire par endroits l’énorme Bardadrac de Gérard Genette (Seuil, 2006, 453 pages). C’est une sorte de dictionnaire personnel, un fourre-tout réunissant dans l’ordre alphabétique des notes diverses (souvenirs, observations, blagues, etc). Je l’ai emprunté après que l’ami Frédéric R eut attiré mon attention sur l’entrée consacrée aux Mots-chimères. L’auteur propose cette appellation basée sur Chimère (animal monstrueux hybride, par exemple mi-chèvre mi-lion) pour désigner les mots créés par amalgame, que l’on nomme habituellement mais vaseusement mots-valises. Je trouve la suggestion de Gérard ingénieuse et je comprends pourquoi Fred me l’a signalée : la plupart des néomots que j’invente de temps en temps, et que j’ai réunis dans un Verbier, relèvent de cette catégorie. Mais Genette ne se contente pas de gloser sur la question, il propose sur plusieurs pages sa propre liste, les mots-chimères qu’il a créés : Abbécédaire, Alambigu, Amalgamme... Du coup je ressens une gêne, j’ose à peine lire les inventions de ce concurrent. Ses néomots sont aussi bons que les miens, ce qui n’est pas peu dire, mais lui éprouve le besoin d’expliciter leur double-sens en rédigeant une définition, ce dont je me passe. Je n’ai pas le temps de lire en entier ce livre attirant, mais en le parcourant je me suis trouvé quelques autres points de connivence avec l’auteur. Dans son remarquable Bestiaire, je lis la phrase La chouette n’est pas la femelle du hibou, qui est un des vers de mon poème Fausses paires. A son entrée Caverne, il compare la salle de cinéma à la caverne de Platon, puis avoue qu’il serait «fort surpris d’être le premier à hasarder ce rapprochement», que pour ma part j’avais fait dans mon Allégorie du cinéma (Journal documentaire, mai 2000). Sur le Métissage, j’approuve et j’ai moi-même pensé mille fois ce qu’il dit à propos de l’absurdité idéologique consistant à faire à la fois l’éloge du métissage et celui de la diversité, l’un et l’autre tendant à s’exclure. Genette tantôt amuse par ses souvenirs cruels de ses ex-camarades communistes (Angèle), tantôt étonne par sa belle idée de collectionner les rivières où il s’est baigné (Temps de rivière), et je ne doute pas que l’ouvrage recèle encore bien des traits charmants.
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