lundi 4 décembre 2023

Quentin

Il n’était pas assuré que je trouve le temps de lire l’assez long roman (380 pages, quand même) d’Abel Quentin, Le voyant d’Etampes (Editions de l’Observatoire, 2021) que m’avait proposé l’ami Adrien B. C’est une satire bien menée et bien renseignée des nouvelles idéologies extrémistes raciales et sexuelles. Le narrateur est un jeune retraité de l’Université, fermement de gauche, ancien militant de SOS-Racisme, présentement alcoolique, divorcé de la femme qu’il continue d’aimer, et père d’une jeune dinde lesbienne. C’est un spécialiste de l’histoire contemporaine des Etats-Unis, domaine dans lequel il s’est mal illustré en publiant à la quarantaine une vibrante apologie des époux Rosenberg, citoyens judéo-américains supposés avoir été injustement persécutés par le vilain maccarthysme et exécutés pour espionnage communiste. Or l’ouvrage a paru juste avant l’ouverture d’archives américaines révélant que les Rosenberg étaient en effet des traitres à leur patrie, qui transmettaient aux soviétiques des secrets militaires, et l’auteur s’en est trouvé discrédité. Maintenant retraité, il se remet à l’étude et consacre un livre à un poète américain méconnu, mort encore jeune dans un accident de voiture en France, où il s’était exilé dans les années cinquante. Or voilà qu’un blogueur, et à sa suite une foule d’internautes, s’en prennent à l’historien, qu’ils accusent de racisme pour avoir négligé la négritude du poète. Le roman expose les arguments du fanatisme idéologique, citant à l’occasion les maitres à penser (Sartre, Fanon, Peggy McIntosh, Eric Fassin) et décrit les mécanismes des polémiques d’aujourd’hui, tournant au lynchage médiatique et aux campagnes «virales» des réseaux sociaux. Un ressort de drôlerie est que le protagoniste, toujours de gauche, vient à être défendu par les horribles réacs du RN et de Valeurs Actuelles, et trouve du réconfort auprès d’Africains. Quelques fantômes du passé apparaissent ici et là, tels Jean Cau, Julien Dray ou Alain Pacadis. J’ai relevé une petite incohérence à propos d’une employée, dont on dit d’abord qu’elle vient faire le ménage deux fois par mois, et plus loin chaque semaine (p 233 et 344) mais ce n’est qu’un détail. L’ensemble est assez divertissant. Il y a aussi matière à une méditation sur l'âge de la retraite, propice à la mélancolie et à la résignation. Je ne sais ce que l'auteur en connait, car il est encore jeune homme, mais ce n'est pas mal vu.

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