Au hasard du net je retombe sur cette citation d’Henry de Montherlant, parait-il dans Le démon du bien : Qu'une vie est heureuse, quand elle commence par l'ambition, et finit par n'avoir plus d'autres rêves que celui de donner du pain aux canards ! Elle me fait penser à la belle nouvelle d’Alexander Trocchi, Peter Pierce, que j’avais traduite jadis. Dans cette histoire le narrateur est un fugitif vivant dans la clandestinité, qui se lie d’amitié avec son vieux voisin chiffonnier et devient son associé. Dans la journée, pendant que l’ancien est supposé parcourir les rues à la recherche de marchandises, lui trie le stock à la maison. Mais le jour où il décide de quitter la ville sans prévenir, il suit d’abord le vieil homme en secret, et découvre que celui-ci passe son temps au jardin public, à donner du pain aux canards. Plusieurs fois ces derniers temps j’ai repensé à ces personnages, en me disant qu'avant je m'identifiais plutôt au fugitif, maintenant au vieux fou. Non que j’aie renoncé à tout projet, mais le nombre de choses dont je n’ai plus rien à foutre ne cesse de s’accroitre.
Sans doute aucun, Henry de Montherlant connaissait "Les Nourritures terrestres" (1897) où André Gide avait formulé une idée similaire :
RépondreSupprimer“J'espère, après avoir exprimé sur cette terre tout ce qui attendait en moi, mourir complètement désespéré". J'aime cette valeur acrobatique du mot "désespéré", totalement ignorée du TLF (Trésor de la Langue Française) : "avoir épuisé toute source de bonheur", un peu comme le vieux monsieur aux canards.
Cordialement
Françoise Grenand