Lettre documentaire n° 523.
APHORISMES de Juan Ramón Jiménez,
choisis et traduits par Philippe Billé.
L’écrivain espagnol Juan Ramón Jiménez (1881-1958), prix Nobel de littérature en 1956, année insigne à bien des égards, a publié principalement des recueils de poèmes, et quelques livres en prose. Il a par ailleurs écrit tout au long de sa vie des milliers d’aphorismes, dont seulement quelques uns ont paru ici et là de son vivant. En 1990, reprenant un projet envisagé par Jiménez, le professeur Antonio Sánchez Romarelo a publié chez Anthropos Editorial, à Barcelone, sous le titre Ideolojía, la somme quasi complète d’environ quatre mille de ces aphorismes, ordonnés et numérotés dans un ensemble complexe de sections et de sous-sections chronologiques et thématiques. La plupart de ces pensées sont des règles de vie et de travail. En 2018 les Ediciones de La Isla de Siltolá, à Séville, ont fait paraître, sous le titre Aforismos e ideas líricas, un choix de quelque huit cents aphorismes, extraits de l’édition de 1990 par José Luis Morante. Je viens de lire ce dernier recueil de pensées, qui ne sont pas toutes à mon goût, car il en est beaucoup que j’ai trouvées obscures, ou fausses, ou banales, ou pompeuses, ou répétitives, mais j’ai le plaisir de présenter ci-dessous les deux douzaines de celles qui m’ont le plus intéressé, et que j’ai traduites en français. (J’indique pour chacune le numéro de la page où on peut les retrouver dans l’édition citée).
(Page 33) Voyager est un remède possible à la foi. Le doute, pas besoin de le soigner, ce n’est pas une maladie.
(61) N’importe où les gens rient, soyez sûr qu’il y a de quoi pleurer.
(81) Pour lire beaucoup de livres, en acheter peu.
(88) Faites bien y compris les plus petites choses sans transcendance apparente.
(91) Dans la maison silencieuse, celui qui entre baisse la voix. Maintenez les maisons silencieuses.
(94) Des paravents et des miroirs. La vie.
(100) Le style n’est pas la plume, ni l’aile, mais le vol.
(104) Pas un jour... sans effacer une ligne, ni sans déchirer un papier.
(121) Je m’espionne moi-même.
(131) L’art est la science de la beauté.
(138) Souvent la beauté des mères se convertit en laideur des fils, et la laideur des pères en charme des filles.
(143) La délicatesse est la main droite de l’intelligence.
(143) Comme le bruit complique tout. C’est un hôte si dérangeant, si palpable, si désordonné, si sale, si sot.
(147) Bibliothèque : il n’est pas nécessaire de lire tous les livres, ni tout un livre, mais de lire dans tous les livres.
(169) Le chien aboie contre son ombre et son écho lui répond.
(170) Tous les matins je vais à la plage du hier et je n’y ramasse que ce qui a été laissé par la mer de la nuit, enflammé par l’aurore.
(175) Une pensée qui ne traverse pas le mur de la nuit, laisse-la dans la basse-cour de la veille.
(176) Les idées aussi ont leurs paysages.
(177) Travailler sans relâche. A quoi, comment, peu importe.
(179) Le grand plaisir de ma vie est d’attraper un morceau de pensée et de l’entrainer hors du chemin pour le contempler, le dévorer.
(182) Méfiez-vous d’une poésie qui, pour être appréciée, doive être analysée.
(198) La poésie inférieure gagne à être déclamée, amplifiée pour les oreilles, et non vue. La supérieure y perd, elle gagne à être lue en silence avec les yeux.
(202) Quand tu entendras parler de quelqu’un qui dit du mal du rossignol, va voir qui c’est. Tu trouveras à coup sûr un corbeau ou une poule.
(208) J’ai travaillé avec la terre et avec le feu, avec l’eau et avec l’air. Comme eux j’ai été fort, fou, musical ou léger.
(Textes originaux. Page 33 : Viajar es un remedio posible para la fe. La duda no hay para qué curarla, no es una enfermedad. 61 : Donde quiera que la jente se esté riendo, tened la seguridad de que hay algo que llorar. 81 : Para leer muchos libros, comprar pocos. 84 : La mentira es muchas veces madrina de la verdad (Je renonce à traduire celle-ci à cause du problème mentira / mensonge). 88 : Haced bien hasta las más pequeñas cosas sin trascendencia aparente. 91 : En la casa en silencio, el que entra baja la voz. Tened las casas en silencio. 94 : Biombos y espejos. La vida. 100 : Estilo no es pluma, no es ala, sino vuelo. 104 : Ningún día... sin borrar una línea y sin romper un papel. 121 : Soy un espía de mí mismo. 131 : El arte es la ciencia de la belleza. 138 : La belleza de las madres suele convertirse en fealdad en los hijos y la fealdad de los padres en gracia de las hijas. 143 : La delicadeza es la mano derecha de la inteligencia. 143 : El ruido, cómo lo complica todo. Qué huésped tan molesto, tan tanjible, tan desordenado, tan sucio, tan necio es. 147 : Biblioteca : no es necesario leer todos los libros, ni todo un libro, sino leer de todos los libros. 169 : Ladra el perro a su sombra y le responde su eco. 170 : Cada mañana voy a la playa del ayer y recojo (sólo) lo depurado por la mar de la noche, lo encendido por la aurora. 175 : Pensamiento que no atraviese el muro de la noche, déjalo en el corral de las gallinas de la víspera. 176 : Las ideas tienen también sus paisajes. 177 : Trabajar sin descanso. En qué, cómo, eso importa menos. 179 : El deleite mayor de mi vida es cojer un pedazo de pensamiento y llevármelo a un lado del camino a contemplarlo, a devorarlo. 182 : Desconfiad de una poesía que, para gustar, tiene que ser analizada. 198 : La poesía inferior gana declamada, aumentada a los oídos, no vista. La superior pierde así : gana leída en silencio con los ojos. 202 : Cuando sepas de alguno que habla mal del ruiseñor, ve a verlo. Seguramente te encontrarás con un grajo o una gallina. 208 : He trabajado con tierra y con fuego, con agua y con aire. Como ellos, he sido fuerte, loco, musical o leve.)
Merci pour cette découverte (et pour la traduction).
RépondreSupprimerComme au restaurant chinois, j’ai choisi dans ce menu du jour :
33 - 61 - 94 - 121 - 143 - 175 - 208
Vous nous en remettrez bientôt d’autres douzaines, m’sieur Billé ?
Ravi que ça vous plaise. D'autres douzaines viendront...
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