lundi 23 décembre 2024

Malagar

    Une note d’Alain Finkielkraut lue le mois dernier dans son L’imparfait du présent avait attiré mon attention sur le petit livre de Lucienne Sinzelle, Mon Malagar (Gallimard, 2001), qu’il qualifiait de « récit simple et splendide ». Je ne saurais mieux dire. Cette dame a vécu presque toute son enfance, à l’âge de deux à quatorze ans, soit les années 1929 à 1941, dans la propriété des Mauriac, Malagar, où ses parents étaient employés comme ouvriers agricoles, et sommairement logés dans une dépendance sans eau ni électricité. Elle y a connu quelques joies mais surtout les rudesses de l’inconfort et des corvées auxquelles elle était astreinte. Les Mauriac (François, sa dame, et leurs quatre enfants, deux fils et deux filles) ne venaient qu’en été passer leurs vacances dans cette maion de campagne du sud de la Gironde, près de Saint-Macaire et Langon. Lucienne avait peu de contacts avec les membres de la famille, sauf avec un des fils, Jean, qui jouait chaque jour avec elle et avec son frère Lulu, son aîné de deux ans. Elle était secrètement amoureuse de Jean mais ne le lui avoua jamais, et elle perdit les Mauriac de vue quand ses parents changèrent d’employeur. Plus tard elle devint aide-soignante, et c’est seulement à la fin du siècle, déjà retraitée, qu’elle découvrit par hasard, dans l’hebdomadaire Bonnes soirées, des extraits du livre que Jean Mauriac venait de consacrer à Malagar (Editions Sables, 1998). Elle reprit alors contact avec lui, évoquant dans ses lettres nombre de souvenirs, si bien que le journaliste lui proposa de réunir ces matériaux dans un livre. C’est ainsi qu’est né ce Mon Malagar, qui conserve le ton de la correspondance, la dame s’y adressant plusieurs fois nommément à son ancien camarade. Elle y raconte les travaux et les jours, ses joies et ses peines, avec quelques scènes hautement dramatiques, puisqu’elle fut un beau jour violée par son père alcoolique, qui devait par la suite tenter de se suicider, puis y parvenir. Je ne sais si Lucienne Sinzelle, qui n’était pas du métier, s’est fait aider pour écrire ce livre, mais il est vraiment réussi. (La seule petite erreur que j’ai remarquée, p 128 : le quartier sur l’autre rive de Bordeaux n’est pas la Bastille mais la Bastide). L’écrivaine tardive a une manière délicate et précise de dire tout sans en dire trop, qui rend cette lecture très attachante.

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